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LE SIDA AUX ANTILLES-GUYANE

L'enquête, financée par l'ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites) et la Fondation de France, a été menée entre septembre et décembre 2004 par l'observatoire régional de santé d'Ile-de-France. Quelque 3 000 personnes ont été interrogées, 1 000 par département (Martinique, Guadeloupe et Guyane). 2 000 à 3 000 personnes sont touchées par le virus en Guyane. Entre 1 000 et 1 500 patients sont suivis à l'hôpital, où ils reçoivent un traitement. Chez les femmes enceintes, le taux de séroprévalence est de 1,2 %, ce qui est très élevé. Dans les trois départements français d'Amérique, la transmission, a lieu par voie sexuelle dans 90 % des cas, et essentiellement lors de relations hétérosexuelles. En Martinique les relations sexuelles entre hommes sont à l'origine de 22 % des transmissions. Un plan d'urgence pour la Guyane C'est la bonne nouvelle, celle que l'on n'attendait pas vraiment. Depuis des années, sur le front du sida en Guyane, on avait pris l'habitude de dire que la situation y était «catastrophique». Ne parlait-on pas d'une épidémie à l'africaine ? Premier département de France touché avec six fois plus de cas par habitant qu'en métropole, l'épidémie y est ­ comme sur le continent noir ­ essentiellement hétérosexuelle, très liée à la précarité. Et quand on évoquait à Cayenne le sida, une image s'imposait, celle d'un des quartiers les plus pauvres : la Crique. Images-clichés d'un pays du tiers-monde, avec des baraquements sans fin en tôles ondulées, des rues défoncées, des égouts qui débordent. Là s'y concentre une grande partie de la prostitution. Un monde presque réglé : les Brésiliennes travaillent dans les bars, les Haïtiennes dans la rue, les Dominicaines ont des chambres qui les attendent. «Moyens». Or l'Observatoire régional de santé de l'Ile-de-France a rendu publique cette semaine une étude (lire ci-contre) inédite sur «les connaissances, attitudes, croyances, et comportements face au VIH» aux Antilles et en Guyane. Et le constat est très encourageant. «Il y a une amélioration claire, et très nette, dans la prise en charge des patients depuis cinq ans», a ainsi expliqué Sandrine Halfen, responsable de cette vaste enquête. «Entre 1992 et 2004, il y a eu des améliorations majeures, tant sur les connaissances que sur l'usage du préservatif. En Guyane, à la différence de ce qui se passe en métropole, on ne peut pas dire qu'il y a un phénomène de banalisation de l'épidémie.» En termes de traitement, la grande majorité des patients sont soignés, reçoivent des trithérapies. Et les résultats cliniques sont bons, les mêmes qu'en métropole. «Quand on se donne les moyens, cela marche», a noté le professeur Jean-François Delfraissy, directeur de l'ANRS (Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites). Une première enquête avait été faite en 1992 en Guyane et aux Antilles. Réalisée douze ans plus tard, celle-ci devait permettre non seulement de décrire la situation actuelle, mais également de suivre l'évolution. «Entre 1992 et 2004, les populations se sont davantage appropriées les connaissances relatives au VIH, est-il noté dans le rapport de synthèse. Aujourd'hui, 97 % des habitants savent que le VIH peut se transmettre au cours d'un rapport sexuel sans préservatif, 96 % lors d'une piqûre de drogue avec une seringue déjà utilisée.» Sur le même registre, «le VIH constitue en 2004 un sujet de préoccupation majeure parmi les populations. Les habitants de ces régions sont beaucoup plus nombreux à se déclarer très concernés par les campagnes d'information et de prévention qu'en métropole. Il existe une crainte beaucoup plus forte qu'en métropole». Ainsi l'usage du préservatif est-il en hausse : les personnes sont bien plus nombreuses à les utiliser qu'en 1992. On est passé de 70 à 85 % chez les hommes, et de 50 à 72 % chez les femmes. Deuxième volet : les comportements à risque. Ils sont en diminution régulière, mais ils restent importants. «En ce qui concerne l'âge au premier rapport sexuel, les données montrent une entrée dans la sexualité plus précoce des hommes, comparée à ceux de la métropole» : 50 % des hommes en métropole ont leur premier rapport avant 17 ans, en Guyane c'est aux alentours de 15-16 ans : pour les femmes c'est un voire deux ans plus tard. Précocité, mais aussi recours plus régulier à la prostitution. Décalage. Malgré une baisse dans les dernières années, les hommes de Guyane (ainsi que ceux de Guadeloupe) sont plus nombreux qu'en métropole à fréquenter des prostituées. Au cours des cinq dernières années, le taux s'élève à 7 % contre 3 % en métropole. Même tendance et même décalage autour du mulipartenariat, là encore beaucoup plus fréquent en Guyane qu'en métropole. «A 45-54 ans, 21 % des hommes ont été multipartenaires dans l'année, contre 7 % en métropole.» Plus d'un homme sur dix a indiqué avoir, «en ce moment», plusieurs partenaires contre moins de 3 % en métropole. Les auteurs de l'étude pointent au passage le cas des personnes âgées. Car manifestement, l'âge ne réduit pas les prises de risque : entre 55 et 69 ans, 16 % des hommes ont déclaré avoir eu plusieurs partenaires dans l'année, soit un taux deux fois supérieur à celui de la métropole. «Chez les multipartenaires âgés de 45 ans à 69 ans, l'utilisation du préservatif est très insuffisante : à peine un homme sur deux dit en avoir utilisé, l'année écoulée. Soit trois fois moins qu'un homme entre 18 et 44 ans». Enfin, les violences sexuelles restent un problème important, en particulier en Guyane. 12 % des Guyanaises indiquent avoir subi des rapports sexuels contre leur volonté, 7 % dans toutes les Antilles. Ce type de violences sexuelles étant un facteur important de risque de contamination. Etrangers. Reste que l'épidémie y demeure particulière, lourde d'inégalités sociales. L'étude est, de ce point de vue, impressionnante : moins les personnes sont diplômées, plus leur risque est élevé de contracter le VIH. En Guyane, 80 % des personnes sans diplôme déclarent, par exemple, ignorer l'existence de traitements. Quant aux malades, dans ce département où les frontières ne sont pas vraiment une barrière, ­ à l'image du fleuve Maroni qui sépare à l'ouest la Guyane du Suriname ­, un grand nombre d'entre eux est étranger. A Cayenne, sur 1 000 patients traités à l'hôpital, plus des deux tiers sont étrangers. Et parmi ces derniers, la moitié est en situation illégale. «C'est une situation inédite. Toute la question est de maintenir la bonne prise en charge, a conclu le professeur Delfraissy. L'urgence est, aujourd'hui, plus politique que sanitaire : elle est de clarifier la situation de la Guyane, vis-à-vis des migrants.» Sources: Eric FAVEREAU sur Libération.fr