Bondamanjak

LES CONSEQUENCES DE LA CRISE FINANCIERE SUR LES COLLECTIVITES LOCALES

Luc Louison Clémenté, maire de Schoelcher en Martinique, a prononcé une allocution ce jour au Palais des Congrès de madiana dans le cadre de la  24ème Conférence
Mondiale des Maires.
Sujet,  l’actuelle crise financière et son impact sur les collectivités locales…

Chaque jour un peu plus, l’actualité confirme que 2008 est à considérer comme une année de mutations. Citons pêle-mêle, le renouvellement des Conseils Municipaux et Communautaires, les projets de réforme de la fiscalité locale, les contraintes sur les dotations de l’Etat aux collectivités territoriales, la crise financière qui affecte l’ensemble de l’économie mondiale…

Autant de facteurs d’évolution que les élus locaux sont amenés à prendre en compte dans la gestion de leur collectivité. S’agissant du dernier facteur évoqué, je veux parler de la crise financière, voyons quelles peuvent être dans le détail ses conséquences sur les collectivités locales.
 

Mais avant toute chose, il convient de préciser que cette crise dont les effets se sont fait ressentir cette année prend ses racines dans la relance excessive à laquelle on a pu assister au lendemain du 11 septembre 2001. En effet au lendemain de cet évènement tragique, la réserve fédérale américaine a craint une crise financière puis économique. Elle a donc relancé l’activité en baissant considérablement ses taux directeurs (de 7 % à 1 % en quelques mois). Mais cette relance excessive ajoutée aux liquidités provenant notamment des excédents des commerçants chinois et des pays pétroliers n’était pas un facteur de stabilité.
 

Néanmoins un climat de confiance s’est installé avec en corolaire un comportement laxiste des banques et des courtiers. A cette époque la possibilité a été offerte à une majorité d’américains d’emprunter à taux variable ou avec des différés de remboursement, pour consommer, acheter de l’immobilier et j’en passe…

Ce pouvoir d’achat nouveau a mécaniquement provoqué une hausse continue de la demande et donc des prix de l’immobilier, ce qui à son tour encourageait les ménages à envisager un achat.
 

Mais dans cette mécanique bien huilée un élément essentiel faisait défaut. On feignait en effet d’oublier que les crédits immobiliers et bien d’autres produits étaient à risque parce que souscrits par des ménages n’ayant pas toujours le niveau de ressources nécessaires pour faire face aux échéances normales (les fameuses « subprimes ») … Pire … Tout a tranquillement continué jusqu’au jour où les différés d’amortissement se sont terminés et où les taux ont amorcé une remontée. De plus en plus d’acheteurs ne pouvant plus faire face, mettent donc en vente leur maison, provoquant une forte baisse des prix qui dès lors ne permet plus de récupérer de quoi rembourser le prêt contracté.
 

Les premiers à réagir ont été les institutions qui ont accordé les crédits « subprimes » en cherchant à se débarrasser du risque de crédit en transformant ces créances en titres négociables, selon le mécanisme de la « Titrisation ».
 

Pour placer plus facilement ces titres, ont mélangé des actifs ou des créances diverses de sorte que les agences de notation n’ont même pas cherché à connaitre la composition des titres qu’elles ont notés selon l’émetteur.
 

Les investisseurs ayant souscrit de tels titres n’ont pas tardé à prendre conscience de détenir des créances sans valeur. Les dépréciations d’actifs ont été considérables dans tous les secteurs. Beaucoup d’entre eux ce sont trouvés collés avec des titres dont la valeur s’est effondrée, car reposant sur la capacité de remboursement d’emprunteurs fragiles.
 

Jusqu’au deuxième trimestre 2008 la crise reste centrée plutôt aux Etats-Unis. Pour restaurer la confiance, la F.E.D diminue ses taux, exige plus de transparence, maintient qu’il faut faire un exemple, et c’est la faillite de la Banque d’Investissement LEMAN BROTHERS.
 

Dès lors la crise devient mondiale et touche toutes les banques.
 

L’importante dépréciation des actifs détenus par les banques nécessite que celles-ci procèdent à une augmentation de leurs fonds propres. Il faut les recapitaliser. En Martinique, disons-le, ces difficultés en fonds propres restent très limitées, car les banques Martiniquaises sont adossées à des groupes hexagonaux, c’est-à-dire qu’elles ont toutes un actionnaire de référence qui assure leur sérénité. Je n’ai pas eu pour ma part connaissance de situation où des banques Martiniquaises aurait manqué de liquidité de façon significative. Le caractère universel du système bancaire français nous a beaucoup protégés, c’est-à-dire le fait d’être à la fois banque de dépôts et banque d’investissement.
 

Je crois qu’il était important, avant d’analyser les conséquences de la crise financière sur les collectivités locales, qu’on ait pu procéder à un tour d’horizon certes incomplet des origines de celle-ci.
 

Nous venons de voir combien la crise immobilière dite des « Subprimes » est devenue une crise financière internationale, sans précédent depuis la grande dépression de 1929, et qui affecte désormais l’économie réelle.
 

Les collectivités locales  acteurs majeurs de l’économie par le poids de leurs dépenses,  50 milliards d’euros soit 75%  du total de l’investissement public en France – sont concernées inévitablement par cette crise. Elles le sont d’autant plus que la crise aujourd’hui est une crise de demande au sens économique du terme et non pas d’offre. La demande va diminuer notamment du fait de la baisse des investissements privés. C’est donc à l’Etat qu’il revient d’investir donc indirectement aux collectivités, quand on sait leur part dans l’investissement public… mais nous verrons tout à l’heure que les choses ne se dessinent nécessairement de la sorte et qu’au contraire les collectivités soient obligées de replier leur voilure en matière d’investissement.
 

Si la presse s’est faite parfois l’écho d’une « contamination » de certaines collectivités par des produits «  toxiques » indexés sur des valeurs spéculatives comme le cours de monnaies étrangères, il convient de relativiser ce propos.
 

Selon un article publié le 20 octobre 2008 sur le blog de Philippe LAURENT maire de la ville de SCEAUX et expert en finances publiques,  la « dette spéculative » ne représente qu’entre 5 et 10% dans l’encours de dette des collectivités locales et non 20 à 25% comme on l’annonce parfois.
 

Par ailleurs, les collectivités locales françaises par l’obligation de dépôts de  leurs fonds au Trésor Public, ne présentent aucun risque de perte en capital sur des titres de créances « toxiques ».
 

Cependant, même si leurs investissements sont financés à 80% par leurs ressources propres, les collectivités locales ont recours à l’emprunt pour le solde ; soit un besoin de financement d’environ 10 milliards d’euros.
 

Les difficultés de plusieurs organismes financiers, y compris DEXIA la banque des collectivités locales, ont un impact négatif sur les conditions de financement de l’ensemble des acteurs économiques et notamment les collectivités locales.
 

Mais les effets de la crise ne s’arrêtent pas là. Ils impactent également le niveau des rentrées fiscales ainsi que les transferts financiers de l’Etat vers les collectivités.
 

Pour la clarté de l’exposé, je propose donc que l’on envisage dans un premiers temps : les conditions de financement des collectivités locales, dans un second temps : l’impact sur les recettes fiscales des collectivités locales et enfin les diminutions prévues des transferts de l’Etat.
 

Voyons tout d’abord :

   1. Les Conditions de financement des collectivités locales

 

Le premier impact pour les collectivités locales est le risque de taux. En effet, la crainte est réelle d’assister à une flambée des taux.
 

    * Augmentation des taux d’intérêt

 

La crise financière se caractérise par une augmentation des taux d’intérêts d’une part pour les emprunts à taux variables contractés auparavant et d’autre part pour les nouveaux emprunts contractés à des conditions moins favorables.
 

Par exemple, l’Euribor 3 mois,  un des taux de référence du marché monétaire, souvent utilisé pour les emprunts à taux variable des collectivités locales, est passé de 4,66%  le 2 janvier 2008 pour atteindre 5,33% le 2 octobre 2008. Soit une augmentation annuelle de 6650 euros pour un emprunt de 1 million d’euros en 10 mois.
 

Au deuxième trimestre 2008, 41% de l’encours de dette des collectivités territoriales sont constitués d’emprunts à taux variables.

      Toutefois, notons que d’une manière générale, les collectivités locales, surtout les plus petites, préfèrent les emprunts à taux classique aux produits à taux structurés.

      Le deuxième impact est :

    * La raréfaction du crédit pour les emprunteurs

 

      Les banques qui empruntent à court terme pour prêter à long terme, n’arrivent pas à emprunter suffisamment pour satisfaire la demande, à cause de la crise de confiance qui touche les acteurs du marché interbancaire.

 

      Cette crise de liquidité affecte tous les emprunteurs, dont les collectivités locales.

      Cependant, les collectivités locales ne sont pas sans atouts dans ce contexte de raréfaction de crédits ; en effet elles représentent un risque moindre pour les banques que les autres emprunteurs du secteur privé, à condition de disposer toutefois d’une bonne signature.

      Le volet raréfaction du crédit pour les emprunteurs pourrait se résumer en trois idées. On peut tout d’abord affirmer sans risque de se tromper que : la crise des liquidités n’est pas finie, ensuite que la crise de la solvabilité approche de la fin, et enfin que la confiance, élément clef de tout système financier, n’est pas encore revenue totalement.

 

Dans l’ensemble, les collectivités locales françaises sont peu endettées, l’encours de leur dette représente 120 milliards d’euros, soit 10% du total de la dette publique. 

      Certes, la crise financière devra se traduire par un renchérissement de leurs conditions d’emprunt. Mais les effets les plus importants se feront certainement sentir au niveau des rentrées fiscales qui dépendent essentiellement de l’activité économique, et également sur les transferts financiers de l’Etat vers les collectivités locales.

 
 

      Voyons maintenant

   2. L’impact sur les recettes fiscales des collectivités locales

 
  

    * La taxe professionnelle

 

      La TP qui s’élevait à  26,8 milliards d’euros en 2007, représente presque 15% de l’ensemble des recettes des collectivités et de leurs groupements.

      Calculée en année n sur le bilan des entreprises de l’année n-2, la dégradation de la situation économique des entreprises en 2008 devra se traduire fiscalement qu’à partir de 2010.

      Cependant, en cas de cessation d’activité définitive d’un établissement, la TP cesse immédiatement d’être due ;  même si elle est partiellement compensée par l’Etat pendant 3 ans.

 
  

    * L’Octroi de mer

 

      Cette taxe sur la consommation, spécifique aux départements d’outre mer frappe les produits importés ainsi que les productions locales.

      L’octroi de mer qui constitue une grande part des recettes fiscales des collectivités d’Outre Mer (en Martinique 47% en moyenne pour les communes et 33% pour la région), sera affecté directement par un ralentissement de la consommation des ménages.

 
  

    * Les droits de mutation

 

      Intégrés dans « les frais de notaire », ces droits représentent un pourcentage du prix du bien cédé, versé aux communes (1,2%) et aux départements (1,6%).

      La baisse du nombre de transactions immobilières et de leurs montants devrait se traduire par un manque à gagner pour ces collectivités.

 

Voyons enfin

   3. La diminution prévue des transferts financiers de l’Etat

 

      La crise financière  arrive dans un contexte de réduction des dépenses de l’Etat et de faible progressivité des transferts de l’Etat au bénéfice des collectivités locales, qui représentent plus de 70 milliards d’euros.

 

      Le gouvernement avait annoncé une augmentation des dotations pour 2009, moins importante que celle de l’inflation (1% contre 2%), soit 1,5 à 2 milliards d’euros de moins pour les finances des collectivités locales.

 

      Sur le plan budgétaire, cela se traduira par une diminution en euros courant de leurs dotations pour de nombreuses collectivités et par une baisse encore plus importante en termes de pouvoir d’achat.

 

      D’autant que nous savons bien que « le panier du maire » n’est pas exactement le panier de la ménagère. Selon le dernier indice « du panier du maire » qui mesure l’inflation constatée pour les dépenses propres aux collectivités locales, la progression des prix subie sur les quatre derniers trimestres étudiés pour l’indice (2ème, 3ème, 4ème trimestre 2007, comparés aux trimestres précédents) par les collectivités locales est bien de 3,4 % contre 1,9% pour l’indice des prix des ménages hors tabac, soit un écart de 1,5 points avec ce dernier indice. Quatre principaux phénomènes ont marqué le premier trimestre 2008 : tout d’abord la légère accélération du prix des charges de personnel. La hausse des indices du coût dans le secteur du BTP – l’accélération du prix des produits et services divers -0

      et enfin le prix des produits alimentaires. Au regard de ces résultats, le dynamisme de l’inflation supportée par les collectivités demeure élevé.

 

      Dès lors on comprend bien que la crise économique va peser sur les dépenses des collectivités, d’autant que, et ceci constitue un facteur aggravant qu’elles seront probablement en première ligne pour jouer le rôle d’amortisseur social traditionnel par l’attribution d’aides sociales ou même par le recrutement de personnel.

      On constate donc que le ralentissement économique qui est déjà perceptible va peser directement sur les finances des collectivités locales.

      Parallèlement les dépenses publiques locales connaissent une croissance rapide due à la forte demande de services de proximité (crèches, écoles, etc.…) mais aussi des transferts de charges souvent dynamiques et mal compensés, de l’Etat vers les collectivités locales.

      La crise financière pourra être le révélateur de l’inadaptation de la fiscalité locale et de l’inadéquation des ressources, face aux nouveaux enjeux auxquels sont confrontées les collectivités locales.

      La réforme de l’Etat et des collectivités locales ne pourra certainement pas faire l’économie d’une réforme des relations financières entre l’Etat et ses collectivités.  

 

Mesdames et Messieurs, je ne saurais terminer mon exposé sans insister sur la situation difficile que connaissent les communes d’outre-mer, lesquelles opèrent dans un contexte financier tendu. Contexte d’autant plus difficile pour nos collectivités, qu’elles cumulent des handicaps structurels dus à leur insularité, donc à leur éloignement ou encore à l’exposition aux risques majeurs dont il n’a jamais été tenu compte dans le calcul de leurs dotations.
 

A l’heure où chacun sait bien que dans un contexte de crise financière et économique, la révision de politiques publiques ne pourra plus longtemps ignorer les réalités locales, cette forme de « lâchage », d’abandon, voire de mépris de la part de l’Etat heurte les élus locaux qui ont tout autant vocation à incarner l’intérêt général que l’Etat lui-même.
 

Nous les communes, les EPCI, Départements et Régions assurons notamment outre-mer des compétences de plus en plus nombreuses, nous y parvenons grâce à notre engagement et celui de nos collaborateurs. En d’autres termes, nous assumons très largement nos responsabilités, que l’Etat en fasse de même !
 

De manière plus générale, je voudrais conclure sous la forme d’un constat et d’un souhait.
 

Le constat est que la crise financière et économique a mis en évidence que « la marche du monde a cessé d’être fondé au sein de la classe politique ». En effet, depuis trente ans beaucoup de chefs d’état avaient pour dogme : le pilotage automatique de l’économie, la dérégulation tous azimuts, la financiarisation de l’économie et la nonchalisation intégrale de la société. Comment a-t-on pu admettre en effet que des actionnaires exigeaient partout des rendements de 15 % quand l’économie morbide ne progressait que de 5 %. Certains enseignants de l’école polytechnique tentaient même d’appliquer les lois de la physique à la modélisation des marchés financiers et de mettre en équation leur dogme, c’est-à-dire : « Il faut laisser faire le marché, il n’y a pas d’autres alternatives ».
 

Maintenant qu’aujourd’hui s’ouvre à l’humanité un nouvel espace, puisons dans l’histoire du monde des exemples ayant fait leurs preuves. Référons-nous au programme de réforme économique global de Roosevelt dont l’axe majeur était la protection des travailleurs contre les aléas de la vie (retraite, chômage), la réduction des inégalités par une fiscalité adaptée, autant d’éléments qui devraient favoriser l’efficacité économique.

Après la guerre, ces mesures adaptées par tous les pays à économie de marché ont permis une stabilité jusqu’alors inconnue.
 

Notre nouveau rendez-vous avec l’histoire ne doit être raté sous aucun prétexte et là est mon souhait. Il doit être mis un terme à la politique de la loi de la jungle et les choix collectifs doivent prendre l’ascendant sur le marché. C’est ainsi et seulement ainsi que nous contribuerons à la rénovation du service public. Lequel service public est comme nous le savons tous le patrimoine de ceux qui n’en n’ont pas et Dieu sait s’ils sont nombreux.
 

Le rôle de nos collectivités est essentiel face aux nombreux enjeux qui se dessinent. A nous donc de jouer maintenant et allumons tous ensemble les phares de l’action.

 

Luc Louison Clémenté maire de Schoelcher  en Martinique