Par Jean Bernabé
Le concept « kolétetkolézépol » commence à connaître une notoriété de si bon augure qu’elle amène bien des Martiniquais à souhaiter d’être éclairés sur son contenu. Comme il m’arrive d’être interpellé sur ce sujet, je crois utile, en tant qu’adepte souscrivant totalement à ses attendus idéologiques, de livrer à un public étendu mon point de vue, que j’espère largement partageable, sur cette démarche nouvelle, qui ne peut que concerner tout Martiniquais et même au-delà. Voici en quelques paragraphes le point de vue que je formule dans la perspective d’un dialogue véritable avec les récepteurs de ma présente intervention.
Kolétetkolézépol : l’émergence d’un concept inédit, imprévu et atypique
Le contexte tragique de la genèse du peuple martiniquais a produit des conséquences affectant son présent, et propres à obérer son avenir. Cercle de réflexion et d’action au service du rassemblement solidaire, Kolétetkolézépol résulte d’une dynamique absolument inédite née dans la conjoncture historique particulière du Monde d’aujourd’hui, lequel, par sa complexité et son opacité, a le mérite de mettre en évidence la nécessité pour les Martiniquais d’enfin faire peuple, condition incontournable de leur salut collectif et individuel. La conviction que la Martinique, petite par le corps physique, est grande par les ressources de l’esprit, conduit à conjoindre, au-delà des clivages, toutes les compétences qui constituent de riches gisements, en grande partie dormants. C’est donc à nous réveiller de nos communes torpeurs et à promouvoir une refondation de nous-mêmes par nous-mêmes que s’emploie Kolétetkolézépol, mouvement ouvert sans aucune limitation à toutes celles et tous ceux qui, interpellés par une authentique émancipation et un véritable épanouissement de notre peuple, souscrivent aux valeurs qui en fondent la pertinence. On l’aura compris, la notation graphique « kolétetkolézépol » sans aucun espace intermédiaire entre les mots qui le composent constitue en soi une métaphore éloquente de la philosophie de ce mouvement intégralement dédié à une audace novatrice au service d’une mobilisation collective.
Les valeurs de base de Kolétetkolézépol
La nécessaire diversité des voix impliquées dans cette entreprise et l’indispensable variété des voies empruntées vers le but visé ne sauraient faire l’économie d’une disposition d’esprit fondamentale, celle qui résulte des vertus cardinales de l’écoute et de la tolérance. Une telle exigence assigne à Kolétetkolézépol une éthique se déclinant en quatre attitudes successives:
– kouté pou tann (écouter pour entendre)
– tann pou konprann (entendre pour comprendre)
– konprann pou antann (comprendre pour créer de l’entente)
– antann pou vansé ansanm (s’entendre pour avancer ensemble).
L’adhésion à ces quatre moments décisifs du dialogue et de l’action constitue le gage d’une intelligence collective amplifiée et d’une société apaisée. Toutefois, le souci d’apaisement ne doit pas être l’antichambre de la pensée unique, et l’union mentale et affective d’un peuple, si avancée qu’elle soit, ne saurait effacer de façon magique les luttes de classes. Ces dernières demeurent en effet jusqu’à nouvel ordre le moteur de l’histoire humaine, sans que pour autant il soit aberrant d’espérer en atténuer, sinon effacer à terme, les ressorts belliqueux. Sans sombrer dans un optimisme utopique, il n’est probablement pas impossible d’envisager que l’esprit Kolétetkolézépol, compte tenu de sa matrice idéologique, s’avère, en toute modestie et lucidité, une manière de préfiguration de cette humanité nouvelle, où le don pourrait un jour l’emporter sur le rapt, la solidarité sur l’hégémonisme, la tolérance sur l’égocentrisme, la modestie sur l’arrogance, la démocratie constructive sur l’électoralisme délétère.
La posture de Kolétetkolézépol
Nullement adversaire ni concurrent des syndicats et des partis politiques, Kolétetkolézépol – dont les adeptes sont pour beaucoup des militants engagés dans ces organismes – exprime un respect de principe pour leurs orientations, quelles qu’elles soient. Elle entend néanmoins se placer en surplomb de ces instances, sans qu’il faille voir dans une telle posture une volonté hiérarchique ou hégémonique, comportement qui serait assurément en contradiction avec ses idéaux proclamés. Cette transversalité correspond simplement à un positionnement purement stratégique propre à assurer une vision plus large de la réalité et, de ce fait, garante d’une efficacité plus grande au service d’objectifs dont le caractère global constitue une des caractéristiques majeures. En bonne géométrie, le seul moyen pour un cercle de s’ouvrir n’est-il pas d’élargir son rayon d’action et par là même, d’agrandir son périmètre ? Un périmètre, en l’occurrence, jonché de « périscopes », instruments qui, bien utilisés, peuvent permettre une meilleure observation de la société tout en facilitant une participation active à cette dernière. Cela revient à dire que Kolétetkolézépol, en dehors de son noyau central appelé à une constante expansion, entend travailler à l’agrégation progressive, à la mesure des besoins du pays, de structures régionales dont le périmètre sera défini de façon pragmatique en fonction de la demande qui pourrait se faire jour dans le tissu martiniquais.
La pratique de Kolétetkolezepol
Conscient de l’impérieuse et urgente nécessité du changement à opérer dans une société enlisée dans des conservatismes dévastateurs, le mouvement Kolétetkolézépol, laissant ses membres parfaitement libres de leurs propres visions partisanes – sous réserve qu’un dialogue fructueux parce que véritable les fasse évoluer dans un sens ou dans un autre –, ne se croit en aucun façon dépositaire d’une vérité politique révélée. À ce titre, il ne s’estime nullement fondé à prôner un choix entre la ligne réformiste et l’option révolutionnaire, les révolutions résultant, d’ailleurs, non pas tant de décrets que de soubresauts imprévisibles de l’histoire. Kolétetkolézépol ne situe pas pour autant sa réflexion et son action en dehors des pressants enjeux qui interpellent notre pays. Tout au contraire, il entend faire en sorte que sa contribution à la construction d’une appartenance solidaire, mais dénuée de tout identitarisme communautaire, saura prendre le pas sur la myopie, voire l’aveuglement politique, quelles qu’en puissent être les conséquences respectives. Assurément, la Martinique n’a pas d’autre choix que de s’en remettre à elle-même de son salut, sans pour autant ignorer le monde extérieur dans sa configuration tant caribéenne que planétaire. Car nous repenser consiste aussi à repenser sans apriori et sans arrière-pensée notre ancrage géographique dans sa dimension géopolitique.
La logique sous-jacente à la démarche Kolétetkolézépol
Pour ce mouvement, la priorité des priorités réside dans la prise de conscience par le peuple martiniquais de ses potentialités comme peuple. Et il ne peut y parvenir sans accomplir un travail concret, pragmatique, déterminé sur une vision renouvelée tant de sa réalité propre que des projections de son imaginaire collectif et ce, indépendamment des clivages sociaux, raciaux ou idéologiques qui le traversent, voire le minent et compromettent son développement. C’est dire que la logique qui sous-tend la dynamique de Kolétetkolézépol est celle de l’attisement sans complaisance et sans relâche non seulement de la réflexion mais aussi de l’action qui en découle. Cette démarche propre à nourrir une logique nouvelle, celle de la métamorphose, se trouve imposée de surcroît par l’extrême âpreté de la phase actuelle, on ne peut plus déroutante, voire déconcertante de la mondialisation. Cette situation somme précisément le pays Martinique d’apprendre à y trouver de lui-même ses repères, sous peine d’une mortelle déréliction à plus ou moins long terme. Cela dit, au regard de l’éthique de Kolétetkolézépol, il demeurera toujours du ressort de chacun d’imaginer, dans la liberté de son esprit comme dans la contrainte imposée par les événements, le rythme et les modalités de cette indispensable métamorphose. L’esprit Kolétetkolézépol ne saurait déroger au respect scrupuleux d’une liberté individuelle elle-même respectueuse de celle d’autrui et néanmoins inscrite dans l’ardente quête d’une émancipation salvatrice.