C’est pour moi, jeune martiniquais, une phrase qui me fait plus de mal que toutes les insultes à la dignité martiniquaise proférées par les réactionnaires patentés du pays, à commencer par la droite Renardo-Mauriço-Laventuro-Chalonienne. C’est une claque dont je ne me consolerais qu’à coup d’eau-de-mort guildive, à coup de marche méditative dans la mangrove ou sur le sable, à coup de gymnastique spirituelle intensive, histoire de surmonter ma peine. Car elle est rouge et dure ma peine, Jean. Ma peine qu’un ancien de chez moi acquis idéologiquement aux vertus de justice et de fraternité sociales, de coopération humaine, et de progrès du peuple pour lui-même et par lui-même, fonde aujourd’hui son projet de société sur l’opposition nette et claire au combat du siècle de la gauche martiniquaise. Ma peine qu’un excellent économiste caribéen de gauche puisse déclarer de manière virulente et radicale que désormais, pour lui, le combat à mener est un combat « contre l’autonomie et contre l’indépendance » de son pays. Qu’aujourd’hui l’important, la seule chose importante au point qu’il faille l’ériger en mot d’ordre, c’est la lutte affirmée de la gauche socialiste contre la responsabilité du martiniquais dans sa Martinique, contre la gestion autonome du martiniquais dans sa Martinique, contre l’indépendance d’action du martiniquais dans sa Martinique, contre une vie sans dépendance du martiniquais dans sa Martinique. Car en te positionnant de la sorte, et malgré des déclarations obscurantistes quant à ton soutien unique aux propositions du congrès, que pensais-tu avouer à la Martinique ? Quel cadeau empoisonné pensais-tu lui vendre à vil prix ? Croyais-tu qu’en l’an 2003 de l’ère chrétienne, quatre siècles après la prise par les impérialistes européens de notre île tropicale, le martiniquais que je suis ne comprendrait pas qu’il s’agissait pour toi, par un tour de magie rhétorique, non pas de te déclarer contre le P.P.M., Bâtir, le C.N.C.P. ou le PALIMA. (par exemple), ou même contre cette nouvelle « Nouvelle droite » à caractère nationaliste, mais qu’il s’agissait bel et bien de signifier publiquement ton désaccord profond, ta radicale opposition, ton vif rejet des idéaux qui jalonnèrent l’histoire politique de notre gauche contemporaine ? Serait-ce l’aveu d’une vie ? Jean, comment pourrais je croire, maintenant, en l’homme en charge de mon pays, si pour lui plus rien n’a de sens ni de poids ? Comment pourrais je me dire que demain mon île aura elle aussi le digne droit de vivre, loin de toute mort clinique, sans assistance respiratoire ?
Comment dois je accueillir ta déclaration de lutte contre les jeunes comme moi ? Comme un éclair de lucidité extra-terrestre, comme un slogan à l’emporte pièce sans force ni courage, comme l’aveu d’un fourvoiement ou comme la tombée d’un masque machiavélique ? Je ne sais plus quoi penser de tout ça. Qui est tu Jean Crusol ? Que veux tu Jean Crusol ? Toi qui te définis aujourd’hui par l’opposition à la majorité martiniquaise ? Est ce à cause du fait que tes mentors français se trouvent actuellement dans l’opposition parlementaire en ta Mère-Patrie ? Car tu ne me feras pas avaler la pilule de la révolution paradigmatique. Malgré les « trahisons douces-amères » de certains, l’autonomie c’est l’autonomie, l’indépendance c’est l’indépendance, et ceux qui se réclament de l’une ou de l’autre, avec plus ou moins de clairvoyance, sont des ancêtres qui luttèrent vaillamment pour que des fils comme moi grandissent avec le courage, la lucidité et la justice sociale comme commandements. Quant l’un d’eux tombe la chemise comme tu viens de le faire, c’est un monde qui s’écroule, une vraie descente aux enfers par l’escalier de la duperie.
J’espère que tu ne te satisferas pas de quelques 744 voix de frères et sœurs tourmentés. J’espère que tu travailleras à l’analyse de ton échec politico-électoral à la Martinique depuis un pan de temps. J’espère que tu n’imbiberas pas les têtes de mes frères et sœurs étudiants de ton idéologie obscure et désolante. J’espère que tu comprendras combien ton assaut contre la marche historique pour la dignité de ma cité est pour moi un geste effrayant et attristant. Filiale affliction…