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Lettre de José MARRAUD des GROTTES au journal Le Monde

Lettre de José MARRAUD des GROTTES au journal Le Monde :

Bonjour Monsieur le rédacteur en chef du journal Le Monde.

Je viens de visionner un reportage vidéo, publié par votre journal Le MONDE, sur la vie chère en Martinique qui m’interpelle énormément.

Votre journal m’avait habitué à beaucoup plus de sérieux dans ses analyses. Visiblement la journaliste a effectué un survol à très haute altitude de la situation et en méconnaissance des réalités historiques, économiques et sociétales de ce petit pays.

Historiques :
Certaines personnes qu’elle classe dans une seule catégorie : les békés, seraient donc tous des descendants des colons esclavagistes responsable de tous les maux de ce petit pays.
Je peux lui préciser toutefois que certains sont arrivés après l’abolition mais elle ne doit pas le savoir et elle ne s’est pas renseignée lorsqu’il s’agit de caricaturer.
D’autres que les békés (les libres de couleur qu’on désigne comme les grands mulâtres ou noirs) étaient également esclavagistes. En 1848 un tiers des indemnités leurs ont été versées. Mais elle ne doit pas le savoir.
Certains békés avaient procédé à des affranchissements avant 1848 considérant le système (à raison), inhumain.
Je peux lui rappeler que ce sont également ses ancêtres qui ont établi la traite négrière au 17 -ème siècle, qui ont promulgué le code noir, les procureurs chargés de le faire respecter.
Ce sont ses ancêtres de Nantes, de Bordeaux, de La Rochelle et d’autres villes qui ont organisé l’odieux trafic triangulaire.
En réalité l’esclavage est un crime contre l’humanité commis par toute l’humanité. Je regrette qu’elle n’ait jugé utile pour une information plus sérieuse digne de votre journal de consulter plus largement avant d’écrire des caricatures.

Economiques :
Si comme elle le dit que les fortunes d’aujourd’hui auraient pour origine l’indemnité versée à l’abolition alors la Martinique compterait 9 000 ultra riches, blanc, mulâtres et noirs car ayant tous été des bénéficiaires.
Il suffit de consulter le registre des indemnités versées qui se trouve à Aix en Provence. Elle y verrait que le système des indemnités payables en rentes viagères sur 20 ans et endossables a été conçu pour que les villes de la façade maritime de France ne fassent pas faillite. La grande majorité de ces indemnités a été effectivement endossée à leur profit.
De plus c’est un raccourci intellectuel qui traduit une très grande méconnaissance des réalités économiques.
Vous pouvez assez facilement comprendre qu’après 7 générations et des centaines de
Descendants, les droits de succession n’ont rien laissé aux derniers bénéficiaires. Peut-être donc que les fortunes d’une petite minorité proviennent d’autres raisons qui pourraient alors être l’esprit d’entreprise.
Si elle m’avait demandé je lui aurais fait savoir que déjà en 1939 (moins de 100 ans après l’abolition) sur 190 distilleries à la Martinique la moitié appartenait à des non- békés preuve que l’esprit d’entreprendre était à cette époque déjà largement partagé.
Quel amateurisme pour un article qui parait dans un journal de grand renom.

Sociétales :
L’article sous-entend par un amalgame général en utilisant le terme « les békés » qu’il
n’y aurait une seule catégorie et tous très riches. Quelle méconnaissance !
S’il y a une petite minorité de riches et une encore une plus petite de très riches la majorité des békés sont des gens ordinaires comme dans toutes les régions françaises. Mes parents ne payaient pas d’impôt sur le revenu ceux-ci étaient trop faibles.
J’ai fait mes études d’expertise comptable à Bordeaux en cité U avec une bourse du Conseil général car mes parents n’avaient pas les moyens de le faire pour 6 enfants. Je n’en ai retiré aucun traumatisme et même remercié le Conseil Général.
Dans cette période de crises avec des violences extrêmes des menaces de mort sont
même proférées et ce type d’article sans nuance ne fait qu’attiser cette violence. Certains békés sont largement impliqués, en dehors de leurs entreprises, dans la vie du pays.
Ceux qui ont des moyens financiers ou intellectuels.
Je vous citerai sans que ce soit exhaustif :
La reconnaissance par l’UNESCO le 15 septembre 2021 de la Martinique Réserve mondiale de Biosphère après un très important travail entre autres de Nathalie de Pompignan auprès des 34 communes de l’ile, de la yole ronde inscrite au patrimoine culturel de l’UNESCO grâce à la ténacité entre autres également d’Alain de WOUVES. De l’organisation de la transat Jacques VABRE qui essaye de recréer de l’attractivité du territoire, des opérations pays propre avec des nettoyages de plages.
Enfin je citerai le travail exemplaire que fait, celui qu’elle désigne le plus, à la Fondation Clément. Ce travail a permis de valoriser des centaines d’artistes martiniquais et caribéens, de faire des expositions de niveau international (Picasso, artistes du Bénin) gratuitement pour nous tous.
Je lui rappellerai qu’en 1998 plus de 500 békés ont signé une déclaration à l’initiative de Roger de Jaham aujourd’hui décédé reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité. C’était à l’occasion des 150 ans de l’abolition et bien avant la loi de TAUBIRA.

J’ai eu 2 heures d’entretien en octobre sur ce sujet avec un journaliste de l’Agence France Presse qui lui en professionnel avait pris le temps de prendre connaissance de toutes ces réalités et a sorti un article beaucoup plus équilibré.

Je terminerai en disant qu’il a manqué à la Martinique un MANDELA qui déclarait :
• ll est très facile de casser et de détruire. Les vrais héros sont ceux qui font la paix et qui bâtissent».
Aimé Césaire sur la fin de sa vie a voulu envoyer ce message aux martiniquais que nous sommes tous, en plantant à la fondation Clément un arbre, le Courbaril.
A cette occasion il a prononcé un discours toujours d’actualité. Je l’invite à en prendre connaissance. Il y déclarait entre autres :
• Ce qui est valable pour l’arbre est valable pour l’homme. Merci de le rappeler à notre communauté, elle aussi en péril. Nais pourquoi être pessimiste ? (le Courbaril est là pour nous d’interdire. Avec ses feuilles. Non avec sa feuille double mais pourtant une. Regardez-la. Ici la bi-foliation se fait intime et partenariale. Une particularité botanique sans doute, mais dans laquelle je me permettrai de voir un symbole.

Le symbole de la solidarité indispensable à notre peuple, en cette époque de survie ».

Je souhaite avoir de votre journal un droit de réponse à cette caricature sans nuance,
sans contradiction.
Dans cette attente je vous adresse mes sincères salutations.

Le 26 octobre 2024
José MARRAUD des GROTTES

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