Monsieur le Ministre,
Votre tournée aux Antilles est aussi, peut-être, l’occasion pour les justiciables de base
de faire entendre leur voix sur des sujets qui n’ont pas les honneurs de la presse.
Répondre aux aspirations des professionnels c’est bien, faire respecter les droits de
vos compatriotes martiniquais « de base » me semble une entreprise tout aussi louable !
Permettez-moi alors, Monsieur le Ministre, d’attirer votre attention sur les difficultés,
pour une grande majorité de familles martiniquaises, à exercer leurs droits successoraux
et à entrer en possession d’un patrimoine hérité de leurs parents.
Les causes en sont, selon moi, diverses, mais trouvent certainement leur source dans un
sentiment d’invulnérabilité, perçu par les martiniquais comme l’organisation d’un véritable
système d’impunité :
- Des officiers ministériels qui sacrifient leurs missions de service public sur l’autel
de la rentabilité, et refusent des dossiers de succession « qui [leur] prennent beaucoup
de temps, et ne [leur] rapportent rien » - Des centaines de dossiers délibérément enfouis, parfois depuis des décennies, au
fonds des tiroirs des offices notariaux, sans explications, sans justifications, parfois
par défaut de compétences, mais surtout sans aucun risque d’un contrôle extérieur. - Une réforme de l’indivision tronquée, qui fait l’impasse sur le véritable nœud du
problème : le refus, de nombreux notaires locaux, de régler des successions jugées
« complexes » et/ou « chronophages », étape pourtant indispensable avant de procéder
à d’hypothétiques divisions ! - Une récente réforme de la discipline notariale allègrement ignorée par les instances,
et par la tutelle judiciaire.
Les conséquences de ces refus d’instrumenter sont souvent dévastatrices pour les familles,
mais également pour l’ensemble de la Communauté. Je n’en citerai que deux : - Des héritiers qui décèdent les uns après les autres, sans jamais avoir pu accéder
légalement au patrimoine durement conquis par leurs ancêtres, - Des pans entiers du patrimoine foncier et immobilier martiniquais en pleine
décrépitude, du fait d’un « service public » plus préoccupé de ses intérêts personnels
que des devoirs de ses charges
Sommes-nous fondés, Monsieur le Ministre, à nous considérer comme des citoyens de
seconde zone ?
Malgré la débauche d’énergie déployée par les individus, les recours légaux
n’aboutissent pratiquement jamais :
o les instances notariales locales et nationales,
o les instances judiciaires locales,
o les instances officielles de « défense des droits », locales et nationales,
o les élus locaux, quelque soit leur rang
semblent tous impuissants à faire cesser des situations relevant pourtant d’une simple
application du Droit.
Le constat est évident : certaines successions ne seront jamais réglées, et beaucoup
d’entre nous partiront avec le sentiment d’un véritable déni de droit, que personne n’aura eu
le courage de corriger, face à une profession campée sur des privilèges et préjugés d’un autre
Je fais le rêve, Monsieur le Ministre, et des centaines de martiniquais avec moi, que
vous saurez vous emparer de cet épineux dossier, qui aurait l’avantage :
- de faire respecter le Droit des personnes, sur ce territoire lointain, tout en assurant
l’équité entre les citoyens martiniquais dont certains – plus avertis – font désormais
directement appel à des notaires hexagonaux, considérés comme plus fiables et plus
respectueux de leur clientèle. - de remettre le Service Public au centre des missions d’une profession désormais
presqu’exclusivement axée sur l’aspect commercial de leur activité, en permettant aux
martiniquais d’exercer pleinement et librement leur Droit « au choix de leur notaire ». - de faciliter l’entretien du patrimoine foncier et immobilier de notre territoire, par
leurs propriétaires légaux, - de libérer la circulation des capitaux, et contribuer à l’amélioration d’un pouvoir
d’achat fortement écorné par les dépenses de la vie quotidienne, - de permettre enfin, tout simplement, à chaque martiniquais, de sentir que, quel
que soit sa condition, ses ressources ou ses origines, il vit sur un territoire ou ses
Droits sont garantis !
Et puisqu’aucune autorité locale ne semble en mesure de prendre en main ces affaires je
me permets de vous suggérer quelques pistes : - Déclencher une mission d’inspection, relative au traitement des plaintes
adressées aux Parquets locaux, à la Chambre des notaires GUYANE
MARTINIQUE, ainsi qu’aux offices relevant de son autorité, avec pour objectif
de faire le point sur les dossiers de succession bloqués, de déterminer les
causes de ces blocages, d’en évaluer les conséquences pour les plaignants, et
émettre des préconisations pour leur finalisation, - Exiger des instances disciplinaires locales qu’elles mettent
immédiatement en œuvre les procédures prévues par l’Ordonnance 2022-
544 du 13 avril 2022 et le Décret 2022-900 du 17 juin 2022, relatifs à la
déontologie et à la discipline des officiers ministériels – y compris le régime
d’astreintes, et les inciter à élaborer un processus de déclanchement
automatique des procédures disciplinaires dès la première plainte, dans le
respect des textes. - Inciter les Parquets à mieux surveiller, contrôler l’application des règles
édictées, et sanctionner les manquements – y compris par contrainte
financière – à l’encontre des notaires « muets », négligents, de mauvaise foi, ou
récalcitrants. - Elaborer une échelle d’indemnisation des usagers, visant à réparer les
dommages engendrés par l’inaction des professionnels, - Impulser une réflexion – ouverte – sur l’organisation du Notariat
Martiniquais : peut-on, au XXIème siècle, conserver des structures qui n’ont
pas évolué depuis plus d’un siècle ? : Digitalisation, formation, qualification,
management, tarification, organigrammes, réception des « clients », etc … Il
faudrait définitivement passer de BALZAC au « notaire du futur » !!!
Exiger un suivi particulier de l’action disciplinaire des instances serait, enfin, de
nature à restaurer la confiance perdue des citoyens vis-à-vis d’une profession qui,
malheureusement, peine à entrer de plain-pied dans un siècle où éthique, « devoir et probité »,
et respect des usagers sont les meilleurs garants de la légitimité de nos institutions.
Avec l’espoir que vous saurez entendre la « voix des sans-grade », et leur donner
quelques gages de votre attention, je vous souhaite, Monsieur le Ministre, un bon séjour
sous nos latitudes.
FORT-DE-FRANCE,
17 mai 2023