Par Antoine #Delcroix
Professeur des universités Vice-président de l’#UAG
Monsieur le Président, Relativement à la crise que vit l’université des #Antilles et de la #Guyane, établissement auquel j’ai consacré beaucoup de ma vie professionnelle, je souhaite vous faire part de mon indignation pour l’impression de désinvolture et d’improvisation que procure le traitement du dossier de l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche en #Guadeloupe, Guyane et #Martinique par les ministères en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche, et plus globalement par les deux gouvernements qui sont intervenus sur ce dossier depuis un an. L’université des Antilles et de la Guyane (UAG) n’a sans doute pas toujours été exemplaire dans sa gestion financière et comptable. Certains présidents, soit parce qu’on leur dissimulait les éléments nécessaires à une bonne gouvernance, soit par passivité, soit pour d’autres raisons que certains rapports démontrent, n’ont pas pu, su, ou voulu redresser la barre. Il est, à ce sujet, dommage de voir l’Etat ne pas soutenir plus fermement madame Corinne Mence-Caster, présidente actuelle de l’UAG, dans son entreprise d’assainissement. Ce soutien ne peut simplement consister en sa réaffirmation dans divers communiqués et annonces – cela devient suspect –, mais doit consister en une écoute et une prise en compte de ce qu’elle et son équipe font remonter en termes d’alertes et de propositions. Par ailleurs, il faut questionner la responsabilité de l’Etat, au travers de gouvernements successifs, dans la situation de crise que connaît l’établissement depuis octobre 2013. Voici deux exemples cruciaux :
en particularisant le cas de l’UAG, au travers d’une ordonnance en 2008, lors de l’adoption de la loi LRU, l’établissement a été déstabilisé, car mis sous la pression d’intérêts particuliers s’exprimant notamment dans la rédaction de ce texte ; en réitérant ce choix pour l’application de la loi ESR, dans un contexte de régionalisation accrue de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’affaiblissement de cet établissement inter-régional ne pouvait que suivre ; ainsi, l’erreur s’est répétée… et amplifiée par la création simultanée de l’université de Guyane. En effet, se multiplient – dans des temps très brefs – de nombreux projets de textes (décrets, ordonnances…) qui en deviennent de moins en moins lisibles pour la communauté universitaire et la société civile.
Le temps du politique, pressé d’imposer sa marque, n’est que rarement le temps d’une réflexion approfondie. Cela se constate dans l’Hexagone depuis sept ans avec les bouleversements du paysage universitaire à marche forcée. On peut citer ici le passage aux responsabilités élargies aux conséquences parfois mal maîtrisées et les regroupements d’établissements quelque peu précipités. Cela se constate aux Antilles et en Guyane par le recours à la solution de facilité de l’ordonnance : le gouvernement fait voter une loi générale et rejette la question particulière de l’UAG dans un texte ad hoc, peut être avec de bonnes intentions initiales, mais avec des conséquences graves sur l’établissement.
Par ailleurs, comme en 1995/1996 pour la scission de l’académie des Antilles et de la Guyane, comme en 2001/2002 pour la scission de l’IUFM des Antilles et de la Guyane, à la suite de crises et de pressions conduites par les mêmes acteurs, le gouvernement prend des mesures concernant un des sites antillo-guyanais sans mesurer les conséquences sur le reste du système : construit-on l’avenir de l’enseignement supérieur par un simple recensement des moyens humains et matériels actuellement dévolus à chaque pôle de l’UAG ? Pour la gouvernance en poste pendant ces crises, à l’UAG ou jadis à l’IUFM, l’impression est de se heurter à des murs de silence, d’incompréhension, à des atermoiements sans fin, à une méconnaissance des dossiers, faute de transmission entre les équipes ministérielles successives, ce qui oblige à la répétition jusqu’à l’absurde des mêmes arguments. Les sentiments qui finissent par dominer sont ceux d’indifférence, d’incompréhension, et peut être de mépris pour ces territoires éloignés.
C’est ainsi que continue à se creuser le fossé entre les départements d’Outre-mer et Paris, parce que Paris contribue à créer, par des décisions hâtives et sans écoute des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, des situations de crise que nous connaissons de manière récurrente.
Mais, aux éléments précédents qui constituent de grands classiques de la gestion des Outre-mer par les gouvernements successifs – et j’ai le regret de le dire, en particulier par les gouvernements de gauche alors que je vote plutôt de ce côté-là – nous atteignons depuis une dizaine de mois des sommets dans la gestion catastrophique de l’avenir de notre système universitaire. Il peut s’agir :
de décisions se prenant manifestement hors, et sans doute – pour une large part – contre l’intérêt de l’enseignement supérieur, comme la création précipitée de l’université de Guyane ; de revirements de dernière minute (comme les palinodies gouvernementales entre le 13 et le 18 juin 2014 sur les textes à écrire, leur contenu, leurs dates d’examen par les instances locales) fruits de ce qui ressemble à un mélange d’impréparation et d’improvisation des différents services de l’Etat, mais aussi d’une volonté de ménager des groupes de pression, dont on se demande s’ils sont pilotés en premier par l’intérêt universitaire ;
peu importe que ceci délégitime la gouvernance de l’université, que cela use les femmes et les hommes qui se dévouent à la cause universitaire de ces pays, si cela sert l’intérêt de quelques puissants.
J’ajoute à cela un sentiment d’existence d’une sorte de lâcheté, puisque ceux qui à Paris prennent ces décisions reconnaissent qu’ils ne seront plus aux affaires quand les conséquences en seront perceptibles.
Finalement, en provoquant la lassitude de celles et ceux qui portent des projets constructifs, novateurs, rassembleurs au-delà des entités territoriales, en ne permettant pas à ces projets d’avoir des cadres propices à leur développement, on laisse une porte grande ouverte à la médiocrité, on contribue à livrer le système universitaire aux localismes et féodalismes les plus étroits, on semble permettre sinon encourager la poursuite des dérives gestionnaires effectivement constatées.
Est-ce l’avenir que l’on donne à l’enseignement supérieur et à la recherche, en Guadeloupe, Martinique et Guyane ?
Par ce courrier, dont certains termes peuvent peut-être sembler excessifs, je souhaitais simplement vous faire part de mes inquiétudes dans les fonctions de vice-président du conseil des études et de la vie universitaire de l’UAG que j’occupe.
En effet, ces territoires doivent pouvoir bénéficier d’un enseignement supérieur de qualité et exemplaire dans sa gestion, et ceci est le combat de l’équipe actuelle. En restant confiant dans votre capacité à mobiliser, sans délai supplémentaire, le gouvernement autour d’un tel projet, je vous prie, monsieur le Président de la République, d’agréer l’expression de ma très haute considération.
Antoine Delcroix Professeur des universités Vice-président de l’UAG