L'émotion générale suscitée par la mort de 152 de nos compatriotes dans le crash d'un avion la semaine dernière au Vénézuéla a été malheureusement accompagnée de commentaires où certains mots ont parfois ajouté aux maux. Beaucoup d'entre nous, ici à Fort-de-France comme dans toute la France, ont été en effet choqués de lire ou d'entendre que les victimes de cette catastrophe aérienne étaient des « Français de Martinique ». Quelle aberration ! Cette expression, n'a aucun sens et ne peut que conforter le sentiment largement partagé par les Antillais d'être, non pas des Français à part entière, mais des Français entièrement à part. Aurait-on parlé de Français de Corse, s'il s'était agi de passagers de l'île de beauté, ou de Français de Bretagne ? Soyons clairs, définitivement clairs, les victimes de ce drame étaient des Français, tout court, ou tout au plus des Martiniquais, comme on parlerait de Corses ou de Bretons ! Beaucoup d'entre nous ont été également choqués d'entendre une journaliste parisienne, compétente au demeurant, commenter la lecture publique, évidemment critiquable, par un député, de la liste des passagers de l'avion, avec ces mots, : « chez nous, ça ne se serait pas passé comme ça ! » Ce qui revient à dire au mieux qu'en Martinique on n'est pas en France, et au pire que les Français d'ici, qui sont à l'évidence plus noirs que blancs, ne sont pas, dans leur globalité, aussi civilisés que ceux de là-bas ! Ce drame nous rappelle combien, dans ses mots et dans ses gestes, une certaine France a encore du mal, inconsciemment ou non, à se vivre, pleinement, dans sa diversité, aussi bien culturelle que géographique. Il nous rappelle, surtout, combien, au-delà des médailles antillaises sur les pistes d'athlétisme et de la vision stéréotypée qu'on a de nos plages et cocotiers, on nous connaît si peu, tels que nous sommes, dans ce que nous avons en commun avec les autres Français et qui constitue le ciment national, mais aussi dans ce que nous avons de profondément différent et qui participe à la richesse de la République. Si cela avait été le cas, on n'aurait pas non plus entendu, sur une grande chaîne nationale, qualifier, ces jours derniers, un conseil municipal extraordinaire, tenu dans une « commune » de Martinique, de conseil de village ! Cela nous renvoie chaque fois à cette phrase, pour le moins blessante et cruelle, prononcée, en direct, à la télévision, par un commentateur sportif parisien, venu, en 1994, à Cayenne, couvrir un match de boxe, où le Guyanais Jacobin Yoma défendait son titre de champion d'Europe : « les supporters de Yoma sont venus nombreux pour le soutenir. Ils sont arrivés de partout. Ils sont arrivés de toute la brousse ! ». Il y a des mots qui ajoutent aux maux. Il serait tellement plus simple de les éviter, sans quoi ils grossiront demain, chez certains, le flot des frustrations qu'ils vivent déjà au quotidien, et ce sentiment général de malaise de la communauté antillaise qu'il devient urgent de dissiper.
Serge Bilé