L’étymologie du terme qui désigne aujourd’hui les descendants des anciens colons et propriétaires d’esclaves installés à la Martinique à partir du 17è siècle, peut-elle être établie ?
Si les hypothèses les plus diverses circulent, sur internet, aucune ne fait l’unanimité. A titre d’exemple, sur une-autre-histoire.org, le blog d’information de Claude Ribbe, écrivain, philosophe et réalisateur, l’origine du mot « béké » est considérée comme très imprécise. L’auteur cite plusieurs hypothèses.
Une première fait état d’un terme africain désignant les Européens. Une deuxième, le fait provenir d’une déformation de l’expression les « blancs des quais ».
Une autre le rattache à « Hé bé ké ? » expression qui aurait été propre aux premiers colons. Une dernière enfin, évoque la possible altération du sigle B.K, désignant le Blanc Kréyol.
Nous verrons que toutes ces hypothèses, excepté la première, sont aussi fantaisistes les unes que les autres. Il y a toujours chez certains cette fâcheuse manie de prêter au passé une certaine incompétence. Ainsi, ont-ils tendance à faire de nos prédécesseurs, des malentendants, des inaptes à la maîtrise de la langue française. Le seul but de cette approche est de combler par la construction légendaire, le vide généré par les incapacités d’aujourd’hui à éclairer les réalités d’hier.
Elles ne sont que des tentatives dérisoires de la part de ceux qui peinent à considérer en l’état, les éléments disponibles. L’hypothèse d’une l’origine française de la langue dite créole ne repose que sur ce fait. Sur la prétendue inadaptation des africains à la maîtrise de la langue des peuples dits civilisés.
Or, il n’en est rien. La langue dite créole est une authentique langue africaine bantoue. Son origine est égyptienne. Elle remonte aussi loin que la période pharaonique. C’est tout simplement une langue qui a subi un choc frontal avec le français. Tout au long de son histoire, elle s’est vue contrainte d’intégrer un vocabulaire d’origine européenne au détriment de son lexique propre. Il en demeure que tout y est totalement logique et offre une vraie traçabilité. Quand l’africain déporté du passé désigne l’européen par le terme béké, il sait parfaitement à quelles notions il fait référence.
Il génère un terme dont le sens dépasse la simple complexion de couleur blanche. Si nous voulons comprendre notre société martiniquaise de 2019, devons-nous impérativement nous affranchir de cette vision actuelle de notre passé linguistique. Laissons donc cette perspective occidentale et son lot d’imprécisions et de suppositions, pour celle africaine. Changeons donc de perspective et analysons les matériaux à notre disposition.
De nombreux témoignages attestent d’une origine sub-saharienne de ce terme. Dans la langue igbo, béké signifierait blanc. Il désignerait donc l’européen. Mais nous aurions tort de nous satisfaire d’une telle définition. Demandons donc aux intéressés principaux qui se désignent encore par ce terme ce qu’ils en pensent. Pour Simon Hayot, et à sa suite, l’artiste Philippe Lavil, le terme béké proviendrait de l’ashanti « m’baké », signifiant « homme détenant le pouvoir .
Ces derniers nous livrent deux informations capitales. La première fait référence à la possible graphie d’origine du terme. Si nous nous fions à la langue ashanti, le terme initial est mbaké. Nous y relevons donc le squelette consonantique (la liste des consonnes constituant un mot, classés par ordre chronologique) suivant : m.b.k. La deuxième information concerne la définition « homme détenant le pouvoir » que nous relevons tout aussi précieusement. Et maintenant voyageons.
Rendons visite à un scribe de la période pharaonique, il y a plus de 4500 ans. Asseyons-nous et regardons le garnir sa feuille de papyrus de hiéroglyphes. Notons comment il rédige. A chaque fois qu’il fait référence à un notable, à un fonctionnaire en charge d’une direction administrative, il dessine un homme tenant un bâton. Exemple : le signe répertorié A 21de la liste de Gardiner (qui répertorie tous les signes existant en hiéroglyphe) et translitéré sr/smr, présente un homme en marche tenant une canne. Il désigne par cela tout à la fois un dignitaire, un notable, un magistrat ou un personnage officiel (voir figure A).