Bondamanjak

«Parce qu’ils sont noirs et que tout le monde s’en fout»

Reportage sur les lieux de l'incendie où des voisins et des proches, bouleversés, ne décolèrent pas. «Ce n'est pas un accident, c'est carrément un meurtre», explose Julie alors qu'elle vient d'arriver sur les lieux de l'incendie qui a fait 17 victimes, dont 14 enfants, et une trentaine de blessés, dans la nuit de jeudi à vendredi, dans un immeuble situé à l'angle du boulevard Vincent Auriol et de la rue Edmond-Flamand, à Paris (XIIIe arrondissement). «Tout le monde savait ce qu'il se passait à l'intérieur. L'immeuble était en ruines. On avait peur de tomber dès qu'on empruntait l'escalier. C'était sale, les rats couraient dans les étages», poursuit cette jeune habitante du quartier, au bord des larmes. Elle connaît plusieurs habitants de l'immeuble, et vendredi matin, elle ne savait pas encore lesquels d'entre eux figuraient sur la liste des victimes. Devant les fenêtres de l'immeuble, désormais noircies par les épaisses fumées de la nuit, une cinquantaine de personnes est amassée. Des femmes s'effondrent, en pleurs. Beaucoup d'habitants du quartier connaissaient quelqu'un de l'immeuble : «C'était une grande famille», explique Khady Camara. Une mère de famille a perdu quatre de ses six enfants, c'est terrible». 130 personnes, dont une centaine d'enfants, originaires du Mali, du Sénégal, de la Côte-d'Ivoire et de Gambie, logeaient dans cet immeuble de sept étages datant du début du XXe siècle. Les rescapés ont été provisoirement installés dans un gymnase, près de la place d'Italie. Bertrand Delanoë leur a rendu visite, leur promettant «un relogement rapide». Une dizaine d'habitants du quartier a commencé une collecte de vêtements, de jouets et de biberons. «On va aller au gymnase pour les donner aux rescapés. Il faut leur montrer qu'on est là, explique Julie, dans cet incendie, tout le monde a perdu un peu de sa famille». Quatre mois après l'incendie de l'Hôtel Paris-Opéra, rue de Provence, qui avait coûté la vie à 24 personnes le 18 avril, le débat sur le logement social à Paris est relancé. Micheline, du Droit au Logement, raconte comment l'immeuble avait été réquisitionné par l'Etat pour reloger provisoirement une partie de la centaine de familles qui campait en 1991, sur le chantier de construction de la bibliothèque de France François-Mitterrand. «Ces logements devaient être des logements passerelle, du provisoire avant de trouver autre chose», explique-t-elle, «mais c'est une passerelle qui dure et, avec les années, les familles se sont entassées dans cet immeuble insalubre» Les proches ne décolèrent pas. Faïza est arrivée dès qu'elle a entendu la nouvelle à la radio. Sa s?ur habite l'immeuble avec ses enfants et son mari. Heureusement, ils étaient en vacances en Algérie au moment du drame. «Pourquoi payaient-ils un loyer compris 500 et 900 euros alors que l'immeuble n'était pas entretenu ? Je ne comprends pas, les familles sont toutes en situation régulière et la plupart des adultes travaillent», raconte-t-elle. À sa question, «pourquoi ?», Faïza a sa réponse : «Parce qu'ils sont noirs et que tout le monde s'en fout». Fatouh Matah est également bouleversée par le drame, ses enfants vont à l'école du quartier avec les enfants de l'immeuble qui a brûlé. «Maintenant, je dois dire à mon fils de dix ans : ?Ton meilleur ami est mort?». Par Marianne Enault vendredi 26 août 2005 (Liberation.fr – 12:58)