Le lycée Schoelcher est devenu un bâtiment qui a mal vieilli, fouetté par les courants d’air de la route de la Corniche, générés par les immeubles construits pour lui barrer la vue sur la baie des Flamands.
Hormis l’aspect artistique, on peut douter de la qualité d’une architecture qui a posé tant de problèmes seulement 50 ans après sa construction alors que par exemple le Fort Saint Louis est bien planté face à la baie. Le lycée Schoelcher n’est pas « un vaisseau à la conquête du monde au vent de la baie des Flamands ». Il n’a jamais été ce vaisseau et c’est pour cela qu’il semble destiné à être détruit.
Le lycée Schoelcher, créé en 1881 à saint- Pierre a été détruit par l’éruption de la montagne Pelée en 1902. Reconstruit à Fort-de-France en 1936-1937, l’éventualité de sa démolition est envisagée dès 1946 (alors qu’il est pratiquement neuf) dans un projet du chef de l’instruction publique, A. Monnier « pour des raisons d’urbanisme ».
Ce lycée sera bientôt démoli car il est techniquement irréparable.
Cette décision est motivée par le souci d’assurer la sécurité et l’accessibilité de tous les jeunes martiniquais dans cet établissement. Cette décision a été prise démocratiquement, par l’actuelle collectivité régionale présidée par Alfred Marie-Jeanne, après l’étude approfondie d’une possibilité de rénovation et une large concertation avec toutes les parties prenantes.
Le lycée Schoelcher instrument de l’idéologie mulâtre.
Sylvère Farraudière, dans son excellent ouvrage : « L’école aux Antilles françaises Le rendez – vous manqué de la démocratie » décrit et décortique la logique qui a conduit au traitement ignominieux réservé en matière d’éducation à la majorité des enfants martiniquais.
Lorsqu’en 1870, ce lycée a été créé à Saint-Pierre, le choix politique était d’instruire la progéniture des fonctionnaires de la colonie venus de France et ceux des bourgeois de couleur, en vue de leur assimilation à la culture française (nos ancêtres les gaulois…).
Ce choix politique d’origine, constitutif de l’idéologie mulâtre, se confirme, et s’intensifie avec la construction d’un nouveau lycée Schoelcher à Fort-de-France en 1936 – 1937.
Si de 1870 à 1880, les républicains martiniquais se sont battus pour la laïcisation de l’enseignement, ils n’ont pas poursuivi leur lutte après 1880, pour instituer un enseignement gratuit, obligatoire et public pour tous.
Ils ont opté pour l’élitisme racial, intellectuel et économique.
Avec le lycée Schœlcher, le petit lycée et le petit pensionnat, la population aisée de la capitale peut couvrir la totalité des besoins d’éducation de ses enfants. Le financement de ce dispositif par le Conseil Général est possible dès 1884, sous forme de subventions de fonctionnement et de bourses généreuses.
Il va de soi que ces enseignements n’étaient pas accessibles pour la majorité des petits enfants martiniquais, pauvres, descendants des esclaves, retranchés dans les mornes après l’abolition de 1848. Le Conseil Général subventionne à minima le maintien dans les campagnes de « salles d’asile », véritables « classes fourre –tout » et garderies où les enfants des mornes étaient entassés par centaines et ne recevaient aucun enseignement.
Que d’intelligences gâchées ! Que de destins détournés ! Et tout cela est de l’entière responsabilité de certains martiniquais, minoritaires mais nourris aux préjugés de race : les mulâtres et les békés !
Siméon Salpétrier, dans son ouvrage « La France et ses DOM La grande imposture » décrit les conditions d’existence, dans les années 50, des petits écoliers des mornes et des hameaux, qui ne mangeaient pas tous les jours à leur faim, contraints de concilier les travaux domestiques nombreux et éprouvants et l’apprentissage scolaire.
Le petit Siméon, malgré toutes ces difficultés accède au cours complémentaire du Lorrain qui accueillait les lauréats du concours d’entrée en sixième de toute la région nord jusqu’au Marigot. Il a eu le mérite de réussir à tous les examens de fin de cycle complémentaire, pour autant les portes du Lycée Schœlcher ne lui ont pas été ouvertes.
Sylvère Farraudière (France Antilles du 03 /09/08) se qualifie de « véritable miraculé de l’école publique ». Après avoir fréquenté Lékolchatt, école privée et payante, juste à côté de l’école publique au fonctionnement aléatoire, il a du parcourir dès l’âge de 7 ans, 8 kilomètres 2 fois par jour afin de poursuivre sa scolarité primaire à Pain-de-sucre. Après avoir réussi le concours d’entrée en 6ème, il a du poursuivre sa scolarité au cours complémentaire de Sainte-Marie et pas au lycée Schœlcher.
Paul Gabourg dans son roman « Rasin Kas » met en exergue la fracture qui existait au lycée Schœlcher entre les élèves qui habitaient des maisons wotéba et les golbos des Terres-Saintville.
Comment peut-on honnêtement affirmer que le lycée Schoelcher est « l’emblème d’une certaine instruction pour tous les martiniquais » ?
Le lycée Schoelcher instrument de manipulations politiciennes.
Il n’est pas vrai de dire que l’ensemble des martiniquais avait la possibilité de fréquenter le lycée Schoelcher et que ce lycée fait partie de l’héritage des martiniquais, de l’identité patrimoniale, visuelle, paysagère, architecturale des martiniquais.
Sylvère Farraudière (France Antilles du 03/09/08) relève, sous l’action de l’école deux échecs historiques majeurs : la persistance du préjugé de race et l’incapacité d’avoir créé une société réellement démocratique.
L’histoire du lycée Schoelcher n’a pas permis d’enraciner de façon définitive les jalons du consensus social et culturel de la sortie de la société esclavagiste.
Les crispations actuelles autour de ce lycée, confirme cette absence de consensus.
Si demain, le lycée de Trinité ou du Lorrain héritage des martiniquais au même titre que l’hôpital de Trinité ou le lycée Schoelcher, devait être démoli, on se demande si les gens de la ville se mobiliseraient avec autant de hargne.
Les crispations de certains pour la réparation de ce lycée, (réparation qui coûterait 40 millions d’euros, soit à peu près le prix d’un lycée neuf), leur agitation n’ont pour seul but que l’espoir « mâle papaye » de mobiliser la population martiniquaise en faveur de certains personnages politiques et dans le même temps de tenter de discréditer leurs adversaires.
C’est de la politique politicienne. C’est une tentative indigne, infâme de manipulation car elle s’abrite derrière l’apparence du savoir. La mobilisation de certains martiniquais (pour la plupart des foyalais), dans des forums constitue la volonté d’occulter la part la plus importante, la plus déterminante de l’histoire du lycée Schoelcher comme outil aux mains de la bourgeoisie foyalaise pour instituer une école inégalitaire et discriminante à la Martinique. Les démocrates de façade qui aspirent secrètement à un avenir hégémonique tentent sournoisement de gommer certains aspects de l’histoire…
Les contradictions des défenseurs acharnés et suffisants du lycée Schœlcher sont flagrantes. Ils ne respectent même pas l’« identité visuelle » du lycée qu’ils prétendent défendre. Qu’a fait le PPM pour sauver le lycée Schoelcher quand il était aux commandes des affaires de la Région?
On ne voit plus le lycée Schoelcher quand on arrive en Martinique ; on voit l’immeuble des Almadies, l’immeuble de la rue du commerce face au terminal de croisière et bientôt on verra les tours et bâtiments de 15 à 20 étages de logements luxueux (pour quelle population ?) qui sortiront de terre dans le cadre de l’aménagement du front de mer.
Le lycée Schoelcher est destiné à faire de moins en moins partie du paysage de Fort-de-France.
On peut même se demander si ce lycée là, dont la vocation a été consciencieusement détournée au profit des nantis de la Ville, alors qu’il aurait du contribuer à l’éducation du peuple martiniquais, n’a pas toujours comporté en son sein, les germes de sa destruction.
L’histoire du lycée Schoelcher n’est pas à ré-écrire mais à restituer dans son intégralité.
On ne peut pas faire table rase de l’histoire et ré-écrire une nouvelle histoire. Un engagement sincère vis-à-vis de notre peuple exige de tenir compte de l’histoire, de toute l’histoire pour permettre l’émergence d’une cohésion sociale en Martinique.
Les temps changent, les consciences s’éveillent. Les petits nègres des mornes, qui ont du parcourir 10 à 15 kilomètres matin et soir pour se rendre à l’école communale, même s’ils étaient de brillants élèves, n’avaient pas les ressources financières pour poursuivre leurs études au fameux lycée Schœlcher. Ces petits nègres des mornes ainsi que leurs descendants ont toujours pressenti et savent aujourd’hui, le rôle qu’ont joué dans leur vie ceux qui avaient la possibilité de les instruire et qui ne l’ont pas fait afin de leur interdire toute promotion sociale.
La majorité des martiniquais n’est pas prête à financer le choix irrationnel et irresponsable du maintien en l’état du lycée Schœlcher, à financer la nostalgie, les souvenirs et les spéculations de ceux qui ont eu la chance d’y faire leurs classes et leurs études.
Les choix idéologiques des mulâtres ne sont pas meilleurs que les choix idéologiques de la majorité des martiniquais : ils valent pour une minorité quand les autres visent l’intérêt du plus grand nombre.
On doit exiger le respect pour les martiniquais des mornes qui ont financé ce lycée sans bénéfices pour leurs enfants. Il est indigne de vouloir priver leurs descendants, maintenant que ces derniers peuvent enfin fréquenter un lycée, de nouveaux bâtiments aux normes de sécurité et de confort.
Aimé Césaire n’est plus. Nous avons des photos, des films, ses œuvres et les générations à venir sauront l’identifier. Quand on pense que le lycée aurait pu donner à la Martinique davantage de « grands hommes »…
La Martinique ne perdra pas son identité si les bâtiments actuels du lycée Schoelcher, étaient remplacés par de nouveaux bâtiments, expression des architectes de notre temps, construits aux normes garantissant l’accès et la sécurité de tous. Un nouveau lycée, une promesse d’avenir pour insuffler de la cohésion dans la société martiniquaise…
La Martinique n’a pas perdu son identité lorsque le petit lycée (Pensionnat Colonial ou Collège Renan) a été démoli (malgré le combat acharné d’un comité de défense) et remplacé par un vulgaire parking.
N’ayez pas peur ! Les Martiniquais resteront des martiniquais ! Le peuple martiniquais restera un peuple intelligent !
Danielle Choquet-Boriel