Par Guy Flandrina
Dans le contexte de l’affaire Pinto, une autre histoire surgit, comme pour souffler sur des braises déjà ardentes. Elle vient illustrer -s’il en était encore besoin- que des familles Martiniquaises peuvent être la proie de prédateurs avides de foncier et ne reculant devant rien pour se frayer un passage dans les méandres du droit, afin d’atteindre leurs objectifs, sans être inquiétés par la justice.
La mésaventure de Fernand BIBAS, reporter photographe martiniquais bien connu, vient souligner l’importance que peut revêtir la spoliation ou des tentatives de dépossession de familles autochtones.
F. BIBAS a reçu en héritage une propriété immobilière de sa tante, Mme Marie Juliette BRIOTTE, décédée en 2013. Dans un testament olographe elle exprime, très clairement, ses dernières volontés : « J’institue pour légataire universel M. Fernand BIBAS mon neveu, il recueille donc la totalité de mes biens meubles et immeubles (…) qui composeront ma succession au jour de mon décès ».
Ce testament authentique sera inscrit en l’office notarial de Me Sébastien TRIPET, le 12/08/2009.
À sa grande surprise, F. BIBAS reçoit, le 25 janvier 2024, un courrier -expédié de Nice- émanant de M et Mme GOELDEL. Ces derniers lui proposent d’acheter ledit terrain, de 270 m2, dont il est propriétaire à Sainte-Luce, pour la somme de 90.000 €.
Sans trop savoir comment ils avaient eu ses coordonnées, le sollicité s’était déjà entretenu au téléphone, plusieurs mois auparavant, avec les potentiels acquéreurs de son bien. M. BIBAS avait alors clairement exprimé n’avoir « aucune intention de vendre afin de conserver ce terrain familial » pour ses enfants.
Persistent et signent
Quoi qu’il en soit, les époux GOELDEL n’entendent pas lâcher l’affaire. C’est ainsi qu’ils indiquent dans leur courrier : « Aujourd’hui, nous sommes prêts à vous acheter votre terrain puisque nous avons un permis de construire ». Ajoutant : « nous avons également réuni la somme nécessaire pour le paiement ».
Dans ledit courrier, les acheteurs potentiels prétendent avoir l’accord de M. BIBAS auquel il disent : « Nous avons choisi de vous faire une belle offre honnête et de toute bonne foi afin que vous acceptiez de nous vendre ce terrain (…) nous sommes tombés d’accord en janvier 2022 et vous nous avez autorisé à entamer les démarches pour s’assurer que l’on puisse construire ».
En fait, en affirmant « nous sommes tombés d’accord (…) vous nous avez autorisé à entamer les démarches pour s’assurer que l’on puisse construire », les acquéreurs présumés se prêtent à une manipulation que leur offrent les textes en vigueur.
En effet, depuis la réforme des autorisations d’urbanisme, entrée en vigueur le 1er octobre 2007, l’article R 423-1 du code de l’urbanisme prévoit que les demandes de permis de construire peuvent être déposées : « Soit par le ou les propriétaires du terrain, leur mandataire ou par une ou plusieurs personnes attestant être autorisées par eux à exécuter les travaux ».
Aussi, les acquéreurs potentiels reviennent-ils à la charge dans un courrier, daté du 25/08/23, où ils énoncent des conditions telles que : le prix, « le caractère définitif du permis de construire », « l’obtention d’un prêt bancaire » et « l’absence de toute occupation à la date de l’acquisition du bien ».
Et, pompon sur le chapeau, si F. BIBAS accepte les principes décrits il lui est demandé de « signer la présente lettre avec la mention ‘’bon pour acceptation de l’offre’’ » et de la renvoyer afin que le notaire puisse rédiger l’acte de vente.
Passage en force
M. BIBAS se refuse à donner, ni par écrit ni même verbalement, la moindre autorisation en ce sens. Pourtant, les acheteurs persistent : « Nous avons donc déposé et obtenu non sans mal un permis de construire ».
Effectivement, comme en témoigne la photo, un permis de construire (972 227 23 BR 002) a été délivré, le 27/06/23, par la mairie de Sainte-Luce.
Alerté par un tiers de l’implantation d’un panneau d’affichage annonçant la construction d’un immeuble sur son terrain, Fernand BIBAS réagit immédiatement. Il procède à l’enlèvement du panneau de sa propriété et adresse un courrier, le 15 février 2024, au maire de la ville de Sainte-Luce.
Il y souligne, notamment « qu’aucun accord de vente ou de promesse de vente n’a jamais été conclu » avec M. Pierre-Olivier GOELDEL.
On relève dans ce courrier que le notaire Sébastien TRIPET « montre » à M. BIBAS et à sa famille qui l’accompagne « des documents rédigés et signés » par l’acquéreur potentiel. Dès lors, le propriétaire du bien conteste « formellement l’autorisation d’urbanisme délivrée » pour son terrain par l’édilité lucéenne.
Le maire ne tarde pas à réagir. Dans une missive adressée à M. BIBAS, le 06/03/24, Nicaise MONROSE assure que dès lors qu’il a constaté que le bénéficiaire du permis de construire « n’était pas le propriétaire de la parcelle, (il a) personnellement entamé des recherches (…) C’est ainsi que ces investigations (l)’ont conduit vers Fernand BIBAS ».
Cet écrit fait suite à un entretien que l’édile a eu, en mairie, avec le propriétaire concerné. Lors de cette rencontre, M. MONROSE a invité ce dernier à recontacter son notaire « en vue de liquider la succession portant sur la parcelle ». Le maire a également souligné « l’intérêt de la commune pour acquérir ledit terrain ».
En fait, la réforme d’octobre 2007 a créé une brèche dans laquelle nombre de spéculateurs peuvent s’engouffrer, en toute légalité et donc en toute impunité : « responsables mais pas coupables » !
Il est désormais admis qu’il n’est plus obligatoire de justifier d’un titre de propriété pour se prévaloir de la qualité de propriétaire, ou d’une promesse de vente habilitant le pétitionnaire à construire, pour obtenir un permis.
Martinique foncièrement menacée
Le requérant doit, conformément à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, uniquement attester, sous sa seule responsabilité, qu’il est autorisé par le ou les propriétaires à exécuter les travaux.
C’est ainsi que le service instructeur de la Communauté d’Agglomération de l’Espace Sud Martinique, tout comme le service d’urbanisme de la ville de Sainte-Luce dénient « toute responsabilité quant aux difficultés auxquelles est confronté l’administré », dans la mesure où il ne leur appartient pas de vérifier le titre de propriété de celui qui requiert un permis de construire.
Il ressort de toute cette affaire que les scandales fonciers ont encore de beaux jours devant eux.
A moins que la classe politique ne décide, courageusement, de s’emparer à bras le corps de ce dossier. Lequel, pour l’heure, semble lui brûler les doigts…
Guy FLANDRINA