Martinique, début des années 60. Il n’y a rien. Pas de télé. Pas de quotidiens. Une radio d’état balbutiante. De toute façon, peu de personne ont une radio et les transistors débarquent à peine.
Il y a eu les évènements de Décembre 59, les ordonnances de 60. La Martinique, quadrillée, somnole sous les milliers de cocotiers qui bordent encore ses plages. Elle regarde ses enfants happés par le BUMIDOM, s'en aller le soir sur paquebot "Antilles".
Le cinéma s’est démocratisé. Pratiquement chaque commune à sa salle. Même les curés projettent des films dans la salle paroissiale de la commune, comme au Carbet. Le petit peuple est abreuvé de péplums (« Thor, le roi de la force brutale », « Salambô »), de westerns, ces fameux « film kòbòy » («Les sept mercenaires ») puis de westerns spaghettis (« Je vais, je tire et je reviens », « Un pistolet pour Ringo », …) dans des salles mythiques comme le Ba-Ta-Clan, le Parnasse à Fort-de-France, l’Elyzée de St Pierre, l’El Pareso du Lamentin, l’Excelsior de Ste Marie, le Miramar au Lorrain, …..
Le bon peuple, celui des bourgeois et des nantis va à l’Olympia, au Pax, au Ciné Théâtre voir « La porteuse de pain », « Ben-Hur », « Les dix commandements », « La tunique » ou encore « La case de l’Oncle Tom » et s'encanaille à peu de frais en regardant « Fantomas»,….
Ce petit peuple s’identifie à ces héros de pacotille. « Maciste contre Zorro» le succès en 1963 à Fort-de-France, constituant un must de mauvais gou.
Un film jamaïcain « The hardey they come », de Perry Henzell avec Jimmy Cliff, décrit bien le processus de décérébration lorsque l’image, la fiction sont vécus comme réalité….
L’épopée Marny, Marny qui est alors tout à la fois Robin des Bois, Ringo, Maciste, en sera un triste reflet. Jusqu’aux émeutes qui déchireront Ste Thérèse et où ce petit peuple, nourri de fiction, saoulé d’images, jouera ce qu’il voit dans les films, à en mourir.