Par Paule Bonjean
Au fond, Bernard Hayot a rendu, à son insu, un immense service aux activistes martiniquais anti-chlordécone, en torpillant leur appel au boycott avec une alléchante promotion de champagne à 15,00 euros la bouteille.
Son groupe a fait la démonstration, en images et sans filtre, de ce qu’est une société endettée, droguée à la surconsommation.
L’homme d’affaires savait que son opération promotionnelle lancée le jour même de l’appel à boycotter son enseigne Carrefour Génipa, torpillerait l’action des manifestants.
Il savait que rien n’arrêterait le ras de marée de ses clients, alléchés par les senteurs du champagne !
Une stratégie assurément payante, qui s’est révélée bien plus efficace que les escadrons de gendarmerie déployés, en vain depuis plusieurs semaines, pour tenter de contrer les activistes qui l’ont pris pour cible.
Et pour cause, les Martiniquais sont raids dingues de champagne.
Ils en sont les premiers buveurs au monde.
Cette petite île perdue au milieu de la Caraïbe détient en effet le record mondial de consommation de champagne avec 3,5 bouteilles consommées en moyenne par an et par habitant.
Si la mobilisation des activistes n’a guère fait recette, le coup de pub de Bernard Hayot a incidemment braqué les projecteurs sur une société en perdition, engluée dans une frénésie consumériste.
Il a mis en lumière une société fracturée avec d’un côté les tenants d’une économie du tout-importation et de l’autre une frange de la population réclamant des mesures afin de donner, à cette petite île perdue au milieu de l’océan, les moyens d’assurer une partie de son indépendance alimentaire.
La Martinique importe plus de la moitié de ce qu’elle consomme, tous produits confondus.
Choc des cultures
Quel choc de cultures entre ces activistes déterminés à bloquer les accès du centre commercial de l’homme d’affaires et cette horde de clients ne reculant devant rien pour profiter coûte que coûte des promotions de champagne, un vin en principe symbole de réconciliation !
Les images stupéfiantes qui circulent abondamment sur les réseaux sociaux donnent à voir, non sans un certain malaise, la perversité
de cette surconsommation que les activistes étaient venus entre-autres dénoncer.
Des clients empilant, dans une cohue indescriptible, des cartons entiers de champagne dans des caddies remplis jusqu’à la gueule.
D’autres se bousculant pour attraper au vol une bouteille de champagne distribuée derrière un barrage de sécurité, renvoyant à ces images de réfugiés se battant pour leur survie lors d’une distribution d’aide alimentaire.
L’image de cette société malade dans tous les sens du terme, qui se jette sur l’os qu’on lui donne à ronger, est révélatrice d’un mal plus profond qui gangrène cette petite ile aux allures paradisiaques.
Une société qui se vide de sa population, dont le taux de chômage atteint 18% de la population active. Une société tertiairisée qui vit au-dessus de ses moyens avec un taux d’endettement qui la situe au 5ème rang des régions les plus endettées de France.
Ceux-là même qui se plaignent de fins de mois difficiles dans une île chlordéconée, mais qui dans le même temps se précipitent pour acheter des cartons de champagne.
Derrière son image de carte postale, la Martinique souffre d’une violence sourde que nombre d’élus n’hésitent pas à instrumentaliser pour défendre leur pré-carré.
Le taux d’abstention record aux précédentes élections, est révélateur de la défiance qui s’est installée entre les habitants et leurs élus, plus préoccupés par la pérennité de leur mandat.
Pour preuve, à l’approche des municipales, la nervosité de la classe politique est palpable. Pas un jour ne se passe sans son lot d’invectives et d’insultes.