Par Victorin Lurel
Je suis très attentif à ce qui se passe à La Réunion ces derniers jours. J’ai évidemment pris connaissance des conclusions publiées par la presse de la rencontre qui s’est tenue vendredi à Saint-Denis, à la Préfecture. J’attends d’en connaître précisément les détails, mais je constate d’ores et déjà que la totalité des efforts ont été consentis par les collectivités locales réunionnaises, que ce soit pour la baisse du prix des carburants pendant 10 mois – 24 millions d’euros pour, dit-on, la Région, le Département et les communes – ou pour le blocage et la baisse de certains prix de première nécessité – 23 millions d’euros pour le Conseil général – ou encore pour la mise en place d’un tarif social pour l’électricité, que devra financer ce même conseil général.
L’accueil de ces mesures est pour le moment qualifié de « mitigé », selon les médias. Sans doute les Réunionnais comprennent-ils fort bien que ce sont leurs collectivités qui consentent d’importants efforts, c’est-à-dire eux-mêmes en tant que contribuables. Ils comprennent tout aussi bien que l’Etat n’a de son côté pris aucun engagement d’intervenir de façon significative pour changer, par exemple, le mode de fixation des prix du carburant. Pour être clair : les marges indécentes des monopoles pétroliers demeurent une fois de plus soigneusement préservées, tout comme celles des oligopoles de l’import-distribution.
Si j’osais la comparaison, ce qui a été décidé à La Réunion en matière de prix du carburant, c’est comme si face à la grogne des Français de l’Hexagone contre les prix élevés de l’essence à la pompe, le gouvernement avait annoncé en pleine crise des finances publiques que l’Etat renonce à une partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE, anciennement TIPP) ou à une part de la TVA perçue sur le prix dans l’Hexagone.
Le ferait-il ? L’a-t-il même seulement envisagé ? Evidemment non, alors que la part des taxes prélevées par l’Etat dans l’Hexagone peut atteindre jusqu’à 80% du prix au litre de super sans plomb. Elle n’est, pour ne prendre qu’un exemple, que de 36% du prix au litre en Guadeloupe aujourd’hui au profit de l’ensemble des collectivités locales (région, département, communes).
Je n’ignore donc pas que la décision de supprimer pendant 10 mois l’octroi de mer sur les carburants prise par le président UMP du Conseil régional de la Réunion, mon collègue Didier ROBERT, entraînera forcément une pression sur les présidents LETCHIMY, ALEXANDRE et sur moi-même pour que nous procédions à l’identique. C’est même déjà un argument qu’utilise régulièrement, en Guadeloupe, la ministre chargée de l’Outre-mer qui nous dit en somme « faites ce que le gouvernement dit, mais ne faites surtout pas ce qu’il fait ».
Je tiens cependant à rappeler que les collectivités de Guadeloupe (région, département et communes) ont déjà eu à s’impliquer financièrement, et de façon très forte, dans le règlement de la crise sociale de 2009. Entre le financement de notre part des 200€ de l’accord BINO sur les salaires, la prime de 100€ pour les foyers les plus démunis, la baisse de l’octroi de mer régional sur l’eau potable, l’augmentation des bourses aux étudiants ou encore la prise en charge d’une part de leur complémentaire santé, c’est plus de 30 millions d’euros que la Région Guadeloupe avait débloqués pour sortir de la crise. A cela il faudrait rajouter les 100 millions d’euros que nous avions contractés pour relancer l’activité. Et je dois rappeler que sur la seule année 2010, les collectivités guadeloupéennes ont abandonné 6 millions d’euros de recettes fiscales en baissant les taux d’octroi de mer sur des centaines de familles de produits correspondants à des milliers d’articles de première nécessité. Et nous savons bien que faute d’avoir diligenté des enquêtes sérieuses sur les prix, ce qui est pourtant de sa compétence, le gouvernement a laissé les marges des commerçants absorber les baisses d’octroi de mer que nous avions consenties.
Faute d’agir sur le mécanisme même de fixation des prix comme nous le préconisons, il est à craindre que les mesures annoncées à La Réunion soient bien insuffisantes pour améliorer durablement la situation. Elles me paraissent plutôt de nature à affaiblir encore davantage les finances des collectivités locales qui sont pourtant, aujourd’hui, le premier guichet des urgences sociales outre-mer. Urgences sociales nourries par la politique d’un gouvernement dont la ministre de l’Outre-mer a cependant le culot monstre d’affirmer que « jamais on aura autant fait que ce quinquennat pour l’Outre-mer ».
Je termine mon propos en publiant, pour votre parfaite information, les taux pratiqués par les régions Guadeloupe, Martinique, Guyane et Réunion en matière de taxe spéciale de consommation sur les carburants (TSC). Le taux en est fixé par les régions mais cette TSC vient alimenter à la fois les budgets du Conseil régional, du Conseil général et des communes.
Et vous noterez, au passage, que la Guadeloupe se distingue plutôt par sa modération en terme de fiscalité des carburants.