Chaque année, à la Saison des vidés, appelée aussi période du Carnaval, on peut lire ou entendre une cohorte d’affirmations incroyables, de pensées toutes faites, d’analyses grotesques sur la relation des hommes et des femmes de Martinique avec leur Carnaval.
La vie de certains s’arrête autour de deux questions pour eux existentielles. Deux questions pour résumer, mais vous pouvez ajouter toutes les variantes et les déclinaisons possibles :
- Pourquoi les hommes en Martinique se déguisent-ils autant en femme ?
- Pourquoi les femmes en Martinique montrent-elles autant de leur corps ?
Et là, ça part dans toutes sortes d’élucubrations, de vérités assénées. Comme si ces personnes n’avaient pas de télé chez elles et ne voyaient pas que la démesure est partout dans les carnavals : en Allemagne, en France, en Italie, en Hongrie, Brésil, Trinidad, République Tchèque, Suisse, Belgique, etc… et que celle-ci est à l’échelle de l’évolution de leur culture propre. Et puis, il ne leur viendrait pas à l’idée que le Carnaval est le reflet direct de la société où il s’exprime. Que les gens qui y participent émettent ce qu’ils vivent. C’est un exutoire. Un divan vivant.
Mais, pour ces pseudos, le fait que des hommes se déguisent en femme et que les femmes montrent encore plus de leur corps qu’il y a dix ans, serait un gros problème pour la société martiniquaise.
Voilà le genre d’inepties que relaie la presse. Et les abrutis opinent du chef.
Déjà, deux constats apparemment pas évidents pour tout le monde : tous les carnavaliers ne se déguisent pas en femme et toutes les carnavalières ne montrent pas leur cul. Loin de là. Très loin de là. Et, tous les carnavaliers, nonm kon fanm, ne sont pas martiniquais. Alors, choisir de fonder des jugements péremptoires et définitifs sur des exceptions est pour le moins malhonnête.
Le problème souvent est que ces grands pontifes n’ont une relation avec le Carnaval que comme moyen de prendre un peu de lumière, d’exister, d’avoir leur nom cité dans la presse.
Si l’on comprend bien leurs borborygmes, le Carnaval de Martinique devrait se positionner dans un genre d’espace extra temporel. C’est à dire qu’alors que les sociétés, tant ici que partout ailleurs, évoluent sans contraintes, sans limites, vers plus de tout, vers l’outrance, le Carnaval de Martinique, reflet de l’âme du pays dans toutes ses exagérations, dans toutes ses dimensions, et aussi dans toutes ses retenues, lui devrait rester hors du temps.
Ay chié !
Ce qui est inquiétant, réellement, c’est la décadence globale des sociétés occidentales et la nôtre est dedans. Ce qui interroge c’est plutôt leur déliquescence morale, la perte de valeurs, la permissivité, l’individualisme et le narcissisme général, le basculement vers toujours plus, et les dénudements carnavalesques n’en sont qu’une infime manifestation. Infime.