En Ouganda, les évangélistes ont étendu leur influence jusqu’au plus haut sommet de l’État. Dans la foulée de la piété récente du président Museveni, près d'un tiers des membres du gouvernement se réclame aujourd'hui de cette Église.
C’est dimanche. Le Centre des Miracles à Kampala, est plein de monde. Le pasteur Kayanga, comme toute personne de pouvoir en Ouganda, se fait attendre. Un choeur d’une centaine de chanteurs se trémousse derrière l’autel. Au premier rang, installés dans des fauteuils, des députés, un ministre et une délégation rwandaise. Plusieurs caméras filment en direct la cérémonie retransmise sur des écrans géants. Quand le pasteur arrive enfin, la foule est déjà chauffée à blanc.
30 % du gouvernement converti
Aujourd'hui, il est parvenu à imposer le mouvement Évangéliste au plus haut niveau de l’État ougandais : une entreprise minutieuse et systématique. "Quand Museveni a pris le pouvoir, il était loin de Dieu. Le président craignait que les gens se divisent à cause de la religion. Mais nous sommes parvenus à toucher sa femme et ses enfants. C’est à travers eux que nous l'avons atteint et c’est ainsi qu’il a finalement remis sa vie dans la voie de Dieu", explique Kayanga qui a désormais un accès direct à la présidence. Il a créé une chapelle pour le président et son entourage où prêche la propre fille du président, Patience Rwabwogo, qui a fait ses classes chez ce pasteur et qui a également ouvert un lieu de culte à Kampala.
Reconnaissants, les dirigeants évangélistes ont été les seules autorités religieuses à militer ouvertement en faveur de la réélection de Yoweri Museveni en 2006.
Le succès de ce pasteur, qui a su réconcilier le religieux et le politique a suscité de nombreuses vocations. Ses grosses voitures, sa luxueuse villa au bord du lac Victoria, son yacht, ses gardes du corps, et bientôt son jet privé, témoignent aux yeux de tous, de l’intérêt de s’insérer dans ce mouvement d’ascension, apparemment irrésistible, vers la richesse et le pouvoir. Environ 30% du gouvernement et des parlementaires seraient déjà "convertis".
Chaque mois aussi, des dizaines de nouvelles organisations à caractère religieux obtiennent un statut d’ONG. Elles s’ajoutent aux milliers d’autres qui ont créé un maillage serré dans tout le pays, créant des orphelinats, des radios, des télévisions et des écoles. Leurs chapelles poussent dans les hangars, dans les cours, dans les champs, dans les parkings…
D'une Église à l'autre
Depuis le recensement de 2002, les évangélistes, souvent des pentecôtistes, sont reconnus comme une catégorie à part du protestantisme et représenteraient près de 4,6 % de la population. C’est bien moins que les catholiques (41,9 %) et que les protestants (35,9%). Mais, selon diverses sources, près d’un tiers des protestants et de plus en plus de catholiques ont rejoint ces dernières années les évangélistes, sans pour autant abandonner leur première appartenance religieuse. Ils sont donc estimés à plus de 20 % de la population.
Le ministre de l’Éthique et de l’Intégrité, lui-même anglican et évangéliste, s'en réjouit : "Il n’y a pas de différence entre les Églises et le gouvernement. Les mêmes valeurs morales nous rassemblent. Toutes nos réunions sont précédées par une séance de prière. Ceux qui pensent que les prières n’ont pas d’importance, n’ont pas d’influence. Je décrirai donc l’Ouganda comme un pays religieux".
Mais cette interaction croissante entre ces Églises et le gouvernement ne se fait pas sans heurts. Victime de propre succès, ce mouvement tend à devenir incontrôlable. De nombreux pasteurs ont été accusés d’escroquerie. Une concurrence féroce les oppose. Chacun veut être plus puissant et plus riche que l’autre.
Jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas osé imposer un contrôle sur les organisations religieuses car la Constitution garantit la liberté des cultes. Mais, selon Nsaba Buturo, une réflexion est en cours : "Le gouvernement ougandais pense qu’il est important de savoir ce qui se passe dans les Églises. Nous voulons définir un cadre dans lequel la foi sera pratiquée".