Par Mungano Détour
Dans le film drôle « Ma première étoile » la petite fille pourtant métissée demande à son père pourquoi elle n’est pas blanche.
Ce passage n’était pas drôle et il m’a fait penser à ma mère qui avait l’occasion de nous raconter qu’un jour mon frère ainé, né dans les années 50, en revenant de l’école, lui avait demandé pourquoi il était noir… Ma mère pensait qu’au sein de la classe les instituteurs de l’époque sollicitaient et encourageaient plus les enfants métissés et/ou clairs. En créole elle disait : »sé métrès la té ka fè ka a sé timoun rouj la plis ». Nous étions alors certainement dans les débuts des années 60, la télé n’était pas encore arrivée, et la couleur de peau noire était déjà lourde à porter. En 1974-75, J’ai personnellement le souvenir d’une sœur traitant son frère de noir… : « ou nwè la ! ». J’entendais ça et là dans les conversations d’adultes la ritournelle suivante : »…en pa on neg, an ka édé yo pôté po la ! ».
Aujourd’hui, en 2013, au XXIe siècle toutes ces choses me sont revenues lorsque dans notre entourage familial une petite fille à la peau noire, en CE1 cette année, nous a sorti qu’elle aurait aimé être blanche… Ce désir exprimé dans la bouche de cette petite m’a aussi fait penser à cette dame noire, de notre génération, mariée à un métissé guadeloupéen avec qui elle a eu deux enfants. La malheureuse a raconté à ma compagne que jeune fille elle a eu à souffrir de sa peau très noire. Elle avoua avoir voulu épargner cela à ses deux enfants en se mariant à un homme clair. Et, c’est les larmes aux yeux, qu’elle déplora que sa belle famille là aussi « ka fè ka a ti-moun rouj la plis », alors que l’autre enfant à la peau noire est tout au moins, moins considéré.
Sur nos 4X3, dans nos télévisions locales, dans les prospectus que nous envoie des marques dans nos magazines imprimés localement, la beauté est presqu’exclusivement blanche et métissée, les filles à la peau noire n’ont guère droit de cité car les publicitaires disent carrément que c’est notre conception de la beauté. Je me rappelle de ce reportage sur télé Guadeloupe où une jeune fille à la peau noire exprimait que lorsqu’elle se baladait avec ses copines chabines comment les garçons la zappaient… c’était comme si elle était exclue du paysage… Malheureusement nous savons qu’elle dit vrai. Des fois mêmes les photos sont retouchées pour que les femmes dont la peau a réellement un teint noir et non pas marron clair, apparaissent comme ayant une peau « sapotille »…
Cette souffrance nous savons tous qu’elle est encore prégnante dans notre société. Elle fait partie du lot de souffrances, de violences que nous a laissées l’histoire. Dire que certains nous reprochent de trop vivre dans le passé, alors que c’est le passé qui sans cesse nous rappelle à son bon souvenir. Les enfants avec l’acuité qui leur est propre, perçoivent très nettement cette violence feutrée qui leur est faite uniquement à cause de la couleur de peau. De ses gens qui s’esclaffent sur la beauté des enfants métissés, quand les petites à la peau noire ont juste droit à « un comment vas-tu ? ». Tout cela les enfants le perçoivent cruellement bien. Et cela se passe chez nous, dans nos familles.
Les médias locaux sont les diffuseurs d’une pensée, d’une vision de la beauté qui dessert une majorité de guadeloupéennes qui ont la peau foncée et à qui tous les jours l’on envoie le message suivant : vous n’avez pas la bonne couleur de peau, vous n’avez pas les bons cheveux. Mais, ces médias là, nous pourrions infléchir leurs productions si nous arrêtions de nous mentir à nous-mêmes, en faisant ou en tentant de faire comme si nous étions dans une société réconciliée, tout simplement en montrant bien plus souvent des jolies filles à la peau noire dans les publicités par exemple.
Mais voilà, aujourd’hui, une armada de médias que nous ne contrôlons pas diffuse des images qui en permanence distillent subrepticement le message suivant : la beauté est blanche ! Elle dit de surcroît que l’homme blanc est le plus fort, le plus grand, le plus intelligent et accessoirement le plus généreux… Ce flot d’images télévisuelles ou cinématographiques vient compléter un programme scolaire qui ne parle aucunement à nos enfants des apports de l’homme noir à l’humanité.
Ainsi de la maternelle à sa dernière année d’étude un guadeloupéen ne saura jamais que les africains, de tous les temps, ont aussi largement contribué à la civilisation et de fort belle manière.
C’est peut-être cette ignorance, qui, quelque part, nous fait honte, et explique que nous acceptions en silence que chez nous en Guadeloupe l’on nous fasse une telle violence en ignorant presque toujours nos filles, nos femmes, nos mères à la peau noire sur nos 4X3, dans nos télévisions locales, dans les prospectus que nous envoie ORANGE, dans nos magazines imprimés localement. Oui, nous acceptons car peut-être quelque part sommes-nous déjà bien contents que l’on nous considère comme des humains, nous qui n’aurions rien apporté à l’humanité…
D’ailleurs cette violence ne s’arrête pas là, puisque moi qui aie eu une autre vie dans le monde de la radio, j’ai aussi connu les entreprises qui ne voulaient pas l’accent guadeloupéen dans leurs pubs… mais bon là c’est peut-être moins grave car N’jie ou Jocelyne Labille seraient tout aussi refusées que Yémouna.
Quelle école va édifier nos enfants pour que nos hommes soient fiers d’être noirs ? Quels médias vont donner une haute image d’elles-mêmes à nos petites filles à la peau noire ? On imagine mal un parisien regardant des noirs ou des chinois toute la journée dans sa télé. Mais pour nous, voir des blancs en continue dans nos télés est somme toute normal. Alors que nous n’avons ni école, ni industrie cinématographique, ni industrie du livre pour contrebalancer le message anti noir que renvoie subrepticement en permanence les images à nos enfants.
Voilà des jolies filles d’origine africaine que nous pourrions tout à fait rencontrer en Guadeloupe.
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Quand les verra-t-on aussi un jour banalement sur nos 4X3, dans les publicités de nos télévisions locales, dans les prospectus que nous envoie ORANGE, dans nos magazines imprimés localement ? Ce jour-là gageons que nos petites filles ne voudront plus se défriser les cheveux pour coller à je ne sais quel modèle aliénant ou être blanches.
