par Marie-Line Mouriesse-Boulogne
A l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique, tout le monde s’est ému de la destruction de la statue de Victor Schoelcher.
Pourquoi ce mythe de l’unique libérateur blanc des esclaves noirs perdure-t-il encore ? Tout le monde sait aujourd’hui que l’abolition est le résultat d’un combat de différents acteurs. Que cette abolition avait déjà eu lieu plus de dix ans avant dans les colonies anglaises (1833) et que la France était à la traîne. Pourquoi occulter les acteurs locaux et internationaux et ne retenir l’oeuvre d’un unique représentant de la seconde république ? Pourquoi ne retenir que le franc-maçon républicain métropolitain ? Pourquoi oublier l’oeuvre de la Société des Amis des Noirs ? Oublier les martiniquais Cyrille Bissette né à Fort-de France ? Oublier Pierre Marie Pory Pappy, né à Saint-Pierre, Ont-ils une statue en Martinique ?
C’est bien là le problème. Et la jeunesse le comprend.
« Pourquoi le passé ne passe-t-il pas ? ». Il n’y a d’oubli possible, ni de pardon possible que s’il y a reconnaissance de la faute commise et excuses formulées.
Le passé ne passera jamais sans réparation.
Il est assez simple de comprendre ce qui se passe ailleurs, parfois plus difficile de se regarder en face. Prenons donc l’exemple des USA, « la minorité afro-américaine vit encore les conséquences de l’esclavage à travers la discrimination et les inégalités. «
Dès le 16 août 2017 à Charlottesville , les statues confédérées avaient été prises pour cible. Ce sont plusieurs statues rendant hommage aux défenseurs de l’esclavage. Là la question est posée : faut-il démonter les statues des sudistes esclavagistes de la guerre de sécession ?
La ville de Baltimore dans la soirée choisit pour sa part de démonter les statues des confédérés défendant l’esclavage pendant le XIXème siècle. La question n’est pas anodine. Elle prend cela aus sérieux.
La question des réparations aux familles des anciens esclaves fait l’objet de débats et de tergiversations. Et cela depuis trop longtemps. On tergiverse pour ne pas indemniser les anciens esclaves. Pour faire durer le débat et les siècles passent passent…Plus les siècles passent et plus vous aurez à indemniser de nombreux descendants alors trop attendre n’est peut-être pas un bon calcul…
En France on a moins tergiversé pour indemniser les propriétaires d’esclaves, quand par exemple on a demandé 150 millions de franc-or aux anciens esclaves pour indemniser les propriétaires lésés par l’abolition de l’esclavage à Haïti. Etrangement il n’y a pas eu de débat quand il a fallu indemniser les planteurs français. Et ici on ne parlait pas de compensation symbolique.
Revenons aux USA. Dès 1889 on promettait aux anciens eslaves une indemnisation « 40 acres (16 hectares) et une mule » remis au débat tous les ans. Finalement, ceux-ci ne seront jamais indemnisés. Le président Johnson n’honorera pas cette promesse. Tous les ans Sherman reproposait ce texte. Et le temps passe passe.
Et le passé ne passe pas.
Ah les statues, c’est du vandalisme….ce ne sont pas de simples actes de vandalisme, ils s’insèrent dans une histoire plus globale, internationale, une histoire qui crie exaspération, qui crie discriminations qui crie réparation !
Une histoire qui montre du doigt les symboles qui ne nous ressemblent plus, qui ne nous parlent plus.
Car nos symboles devraient nous rendre fiers de nous mêmes. Et non incarner une libération qui vient d’ailleurs.
En Martinique, Aujourd’hui, on discutaille.
Ces actes politiques interrogent le présent quand à sa capacité à reproduire les inégalités du passé dans une Martinique qui n’a jamais su s’affranchir.
Y-a-t-il eu redistribution des terres ?
Non
1% de la population détient 40 % des terres.
Certaines familles ont quasiment des fiefs. On vit presque dans une société féodale.
En Guadeloupe, en 1961, une réforme foncière a pu être réalisée. En Martinique, « l’oligarchie a pu soustraire son patrimoine foncier de l’opération redistributrice de la SAFER » (Société d’Aménagement foncier et rural)(Alain Blérald, p. 250) car elle contrôlait cet organisme. En Martinique l’accès au foncier devrait être une priorité, notamment pour les jeunes agriculteurs.
Car la domination continue par la mainmise sur le foncier, par l’exploitation économique, par les profits excessifs réalisés dans l’île (vie chère) par de nouveaux maîtres et parfois les mêmes.
La domination s’inscrit dans les discriminations, la domination s’inscrit dans l’accès inégal au logement, dans la ségrégation socio-spatiale ; la domination s’inscrit dans l’incapacité de notre République à incarner l’égalité là où elle défend beaucoup trop la propriété. . Ici comme sur le continent.
La domination s’inscrit quand inexorablement le Préfet et les représentants de l’Etat viennent systématiquement de la France continentale. La domination s’inscrit dans l’embauche de personnes venant de métropole pour les postes de cadre, plutôt que de personnes du pays. Pas nécessairement plus compétentes.
Quand nous voyons une carte de France sans les DROM dans les manuels scolaires ou dans l’actualité, quand nous voyons aux actualités une carte du déconfinement qui oublie d’indiquer les Antilles-Guyane.
Quand les produits livrés en « France » refusent de livrer en Martinique, comme pour nous rappeler que nous ne sommes pas vraiment en France. Quand une entreprise refuse d’appliquer les avantages « France » parce que vous habitez un DROM.comme si c’était un pays étranger. Quand les banques rechignent à vous accorder un prêt et/ou pratiquent des taux d’intérêts proches de l’usure. Quand des dérogations aux lois européennes sont sans cesse accordées pour ne pas avoir à donner aux Antillais ce qu’ils seraient en droit de réclamer. Quand les Antillais sont empoisonnés sans être indemnisés, sans que les principaux responsables ne soient inquiétés….
Toutes ces « vexations » endurées, viennent nous rappeler que nous ne sommes pas des Français à part entière mais entièrement à part. A chaque fois vous aurez en bonne et due forme un bon prétexte qui vous sera servi sur un plateau d’argent, ce sont ces inégalités tolérées et sans cesse répétées qui sont intolérables.
Et le temps passe passe.
Mais le passé ne passe pas
Parce qu’il n’y a pas réparation.
Parce qu’il y a discriminations.
Il n’y a pas indemnisation.
Ces actes interrrogent notre République quand à sa capacité à incarner l’idéal égalitaire qui n’existe que dans son imaginaire.
La République imaginée s’incarnera-t-elle dans un présent indemnisé ?
Y-a-t-il eu réparation ? Non
Y-a-t-il eu excuses ? Non
Mais Il y a la loi Taubira.
En 2001.
la loi loi du 21 mai 2001 reconnaît la traite et de l’esclavage comme crime contre l’humanité et promulguée le 21 mai 2001.
L’esclavage a été reconnu comme crime mais les criminels n’ont pas été poursuivis. Ils courent toujours et profitent du patrimoine acquis sur la sueur des anciens esclaves. . Ils raillent des personnalités comme Madame Christiane Taubira, si brillante, si intelligente, qui a vécu dans sa chair les discriminations et les vexations que les descendants d’esclaves vivent trop souvent.. Pour les députés, une femme noire, garde des Sceaux c’était trop. Ils étaient verts de jalousie.
Madame, aucun d’eux ne vous arrive à la cheville. Vous avez l’envergure d’une future présidente, et ils le savent tous.
Les propriétaires d’esclaves n’ont pas été condamnés à verser une somme même si leur enrichissement a été possible grâce aux anciens esclaves. Ceux qui ont empoisonné la population martiniquaise n’a pas été condamnée à l’indemniser.
Et le temps passe passe
Et ne passé ne passe pas.
Alors à quand cette réparation ? Je les entend encore les tergiversations. Il faut une réparation symbolique !
Non il ne faut pas une réparation symbolique car l’enrichissement n’est pas symbolique.
Il faut une réparation financière, concrète, conséquente, car le préjudice s’inscrit dans les inégalités socio-économiques. Assez de mépris !
La question des réparations a été l’objet de trop nombreux atermoiements.
Assez !
Aux USA, les gouvernement des USA « non seulement n’a jamais versé de dommages et intérêts, mais n’a pas présenté la moindre excuse aux anciens esclaves. ».
Est-ce que la France a fait mieux ?
Non.
C’est pourtant le soi-disant pays des droits de l’homme.
Et le passé ne passera pas
Sans réparation.