Bondamanjak

Pourquoi l’équipe de France, à la différence des autres, compte-t-elle autant de joueurs noirs ?

Comment expliquer qu'il y ait une telle identification à cette équipe de France ? L'attachement à l'équipe nationale n'est pas affaibli par le fait qu'elle compte une majorité de joueurs noirs. Au contraire. Beaucoup de ceux qui descendent sur les Champs-Elysées sont issus de l'immigration et s'identifient d'autant plus à cette équipe qu'elle représente la diversité. Il y a une double identification : une identification nationale à la France et une identification que j'appellerai "minoritaire". Les minorités visibles éprouvent une fierté supplémentaire à ce que des hommes d'origine non métropolitaine fassent gagner la France. Les minorités savent très bien d'où viennent les joueurs. Chacun se projette sur un joueur qui vient de la même région que lui. N'y a-t-il pas un paradoxe à ce que la société aujourd'hui soit fière des joueurs noirs, alors qu'il y a huit mois, au moment des émeutes de banlieues, les Noirs étaient stigmatisés ? Pour la population en général, il se produit un phénomène de déracialisation. La notoriété des joueurs tend à gommer les stéréotypes les plus négatifs qui pèsent sur l'apparence noire. On peut donc être un supporter enthousiaste de Henry, Vieira et Thuram, et dans le même temps avoir un comportement discriminatoire, raciste. L'intégration par le sport n'est-elle pas un mythe ? Les Noirs sont loin d'être aussi présents dans les autres secteurs de la société. C'est un double mythe. Car d'une part cela concerne une toute petite minorité de personnes. L'intégration par le sport est un miroir aux alouettes qui peut pour certains avoir des conséquences dramatiques. D'autre part le sport, même lorsqu'il s'exprime de façon joyeuse, n'abolit pas les stéréotypes racistes qui veulent notamment que les Noirs se caractérisent par leurs prouesses sportives, leurs forces physiques : elles les renforcent au contraire. Personne n'est donc surpris de voir que les Noirs réussissent en sport. Pas même les racistes. Pour que les victoires sportives favorisent la lutte contre les discriminations, il faudrait que les joueurs s'investissent, de manière plus évidente, dans des domaines extra-sportifs, dans la vie civique. Or ce n'est pas encore le cas, à l'exception de Lilian Thuram qui a, lui, fait preuve d'un énorme courage alors que tout va dans le sens d'une dépolitisation du sport. La diversité est normale dans le sport en raison de la force présupposée supérieure des Noirs, mais il faudrait qu'elle s'étende dans des secteurs où elle n'a justement pas lieu d'être aujourd'hui. Même dans le sport c'est sur le terrain que les Noirs sont présents, pas dans les instances dirigeantes, à l'exception du président de l'Olympique de Marseille, Pape Diouf. Propos recueillis par Laetitia Van Eeckhout Article paru dans l'édition du 09.07.06 du journal Le Monde