La folie du Tour
Dans toute la Martinique, les équipages se sont préparés depuis plusieurs semaines pour cette communion annuelle. Une célébration des vacances qui va rythmer la vie de milliers, de dizaines de milliers de vacanciers, de résidents, de touristes. Le Robert, La Trinité, Le Prêcheur, Fort-de-France, les Anses d’Arlet, Le Diamant, Sainte-Anne, Le François vont connaître la folie du Tour. Celle qui s’installe au bord de mer au petit matin, bien avant le départ des étapes, qui monte durant la course, qui éclate à l’arrivée et qui se poursuit dans les after-yoles, ces fêtes à terre ou au mouillage, où se retrouvent des centaines de personnes dans un délire de musique, d’alcool et de sexe.
Des nouvelles yoles ont été taillées, mises à l’eau et testées. Ces essais, soit à l’entrainement, soit lors des dernières compétitions, ont permis d’affiner les réglages des embarcations et des nouvelles voiles, fraichement marquées. Dans les hangars, les mats, faux-mats, vergues, tolets ont été renforcés, repeints. Les palans, les poulies, les bouts, les cordages ont été vérifiés, certains ont été remplacés. Le Tour a des exigences et n’accepte que ce qu’il y a de meilleur, afin que la fête soit belle et le spectacle, encore une fois, inoubliable.
Certaines yoles, comme celle d’Athon Mas, Félix Mérine ou Guy Alber Romer, qui ont été construites spécialement pour le Tour 2011, ont été mises à l’eau pour la première fois il y a quelques semaines. Ceux qui n’ont pas pu en construire une ou qui n’ont pas voulu ont peaufiné la rénovation de la leur.
Dans les semaines qui ont précédé le grand jour du départ du Tour, la Fédération des Yoles-Rondes avait programmé un calendrier de trois courses qui a donné l’occasion d’observer les yoles et de mesurer les forces en présence. Les favoris sont cinq. Ce sont des yoles qui ces dernières années ont dominé la discipline et qui ont montré leur force depuis le début de la saison.
Cinq yoles se détachent de la flottille
Chabin’an « Joseph Cottrell/Leader » de Guy-Albert Romer fait figure de favori logique. Depuis deux ans et même un peu plus, on peut dire que Guy-Albert et les siens ont atteint un niveau de performance inégalé, tant au Tour que dans les courses du Challenge**. Sur la saison 2011, ils en sont à 11 victoires au Challenge. Ils sont forts, aguerris, en forme et ils ne lâchent rien comme le montre le bord phénoménal avec Brasserie Lorraine pour l’arrivée de dimanche au Robert. Guy-Albert, vainqueur des deux derniers Tours : « Nous avons eu une préparation très fine sur les hommes et sur le matériel. Nous sommes vraiment confiants. On essaiera de faire aussi bien que l’an dernier. Son ambition « comme toutes les autre années, faire un beau Tour ». On sait que les Franciscains en veulent et seront des candidats très sérieux à la victoire finale.
A 381 « Brasserie Lorraine/Isuzu » de Johan Jacka peut être considérée comme le challenger principal de Joseph Cottrell/Leader Mat. Johann Jacka a gagné le Mapipi en début de saison. Ensuite la yole s’est classée à plusieurs reprises dans les trois premiers et a remporté 5 courses du Challenge dont la course de dimanche 18 juillet qui était en fait la dernière étape du Tour. Pour Johan Jacka, cette dernière course était riche d’enseignement sur la valeur de son équipage et sa motivation. « Notre ambition, c’est de faire mieux que l’année dernière (3ème). Nous allons essayer de toujours rester en tête de flottille et après, si la chance nous sourit, nous espérons faire de belles choses. »
Les Marinois ont des intentions sur ce Tour. Vaincre la domination de la côte Est et ramener le trophée en Caraïbe et plus précisément au Marin, car depuis Désiré Lamon (avec I Chapé « Monoprix ») pour le premier Tour de 1985, jamais plus le trophée n’a été remporté par un équipage de la côte Ouest.
Koraï 2 « UFR/Chanflor » de Félix Mérine. Les robertins ont eu des résultats cette saison mais ils n’ont pas vraiment réussi à tenir leur rang depuis le début de l’année. Même s’ils comptent deux victoires et une collection de seconde place au Challenge, ils ont connu des avaries, ont eu voiles déchirées. En outre, depuis les 17 secondes d’écart du Tour 2009 ça ne sourit plus tellement. En finale de la Coupe de Martinique en décembre dernier, les infortunes de mer ont eu raison de la yole qui avait pourtant réalisé d’excellents parcours et était en course pour la victoire finale.
Il faudra avoir un regard particulier pour cette yole qui joue à domicile lors du Prologue et de la dernière étape. On se souvient qu’en 2009, Félix et son équipage avaient attaqué le leader tous les jours, refaisant leur retard inexorablement jusqu’à ces fatidiques 17’ à l’arrivée au Vauclin. 17’ après 17 heures et presque 30 minutes de navigation. Terrible.
Félix Mérine est le seul patron à avoir gagné 3 Tours de suite. Il a gagné le dernier de ces 6 Tours en 2007. Alors, il faut s’attendre à ce que la yole qui porte l’essentiel des espoirs du Robert pour la victoire finale, soit présente à chaque étape et joue la gagne.
L’arme Fatale « Rosette/Orange » de Jacques « Ako » Amalir. L’équipage est en forme. « Nous sommes motivés et nous nous sommes bien entrainés ». Le patron est concentré « On sait qu’on est bien. Dans nos têtes, on est bien ». Le début de saison lui a permis de gagner une course et de faire cinq fois second et de gagner en confiance. Ako « La yole fonctionne assez bien. Nous partons comme toujours pour gagner le Tour. On va voir comment on peut faire, au jour le jour. Nous sommes fin prêts et nous attendons le départ ». Les supporters espèrent voir leur yole, troisième du classement général du Tour 2010, jouer les premiers rôles cette année et surtout renouer avec un glorieux passé, cette époque bénie entre 1992 et 2000 où l’Arme Fatale, était la terreur des mers et gagna 6 fois le Tour.
Le Dernier Jugement « Dr Roots/Zapetti » d’Athon Mas. Vainqueur du Tour en 2008, vainqueur des deux dernières « Coupe de Martinique », l’équipage d’Athon est constitué d’un savant dosage de jeunes bray, qui gagnent d’année en année maturité et expérience, et d’une krey de briscards qui sont avec lui depuis au moins une décennie. La saison 2011 est mitigée. Une seule victoire au Challenge et une série de 5 secondes places n’ont pas altéré la confiance du Patron et la détermination de l’équipage pour le Tour, leur objectif.
Athon « Nous sommes là pour gagner le Tour. Mais c’est comme toutes les autres yoles. Après, la mer et le vent vont choisir le vainqueur». Dimanche dernier, dans la traversée François/Robert, dès le départ la nouvelle yole a lâché toutes les autres. C’est ce que tous les autres concurrents ont pu observer. Ne serait-ce le bris de la vergue qui l’a contrainte à l’abandon, il n’est pas sûr qu’elle aurait été revue avant l’arrivée.
Coups d’éclats
Parmi les prétendants, en tout cas ceux qui vont animer le Tour, on trouve La Reine des Anges « Mutuelle de Mare-Gaillard » de Teddy Rascar. 4ème au Robert dimanche dernier, 5ème à rinité » le 14 juillet, 3ème au Vauclin au début du mois. Une yole toujours placée, à l’affut, qui n’a pas encore pu trouver l’ouverture mais qui va se présenter en forme pour le Tour. Teddy Rascar est confiant « Le Tour s’annonce plutôt bien. Au niveau de l’équipage on s’est bien préparé physiquement, donc on est prêt pour affronter ce Tour. Le jeune patron a un regard lucide et des objectifs mesurés mais pas sans ambition « Tout le monde part pour gagner le Tour. C’est une compétition pleine d’aléas, donc le Tour n’est jamais gagné d’avance. Nous allons gérer au mieux pour prendre une place très honorable. Notre objectif c’est au moins de faire mieux que l’année dernière (6ème).
Matébis « SMEM Ti Boug Energie/Body Minute » de Steeve Tareau. Depuis le début de la saison, et l’arrivée de Georges-Henri Lagier, on trouve Ti-Boug à des places jusqu’alors plutôt inhabituelles. Pour Philippe Jean Alexis, le président de l’association, l’apport de George Henri est indéniable. « La science de la course de celui qui a gagné le plus de Tour de Martinique (8 en Patron), ses talents de formateur font merveille auprès de l’équipage ». Un équipage mixte, à double titre, puisqu’on y trouve des hommes et des femmes et que parmi eux, certains pratiquent également le gommier.
Pour Steeve Tareau « Je passais mes vacances d’écolier à la Citerne, chez sa maman. Il y fabriquait ses yoles. Je lui ai gâché quelques courbes car je voulais à tout prix l’aider mais bon, enfant, on ne savait pas faire…. Alors, vous savez, travailler avec Georges-Henri, c’est un rêve d’enfance qui se réalise. »
La yole est actuellement 8ème au classement du Challenge. C’est la première fois qu’elle atteint cette place. Aujourd’hui, elle obtient des résultats spectaculaires lors des courses du dimanche dans les communes. Régulièrement dans les 10 premiers, elle a été deux fois 4ème au Marin le 10 juillet et 5ème et 4ème au Diamant un peu plus tôt dans la saison. Ce niveau de compétitivité ne s’était jamais vu. Pour le Tour, Steeve a l’ambition de faire beaucoup mieux que l’an dernier (16ème). « Nous voulons montrer nos couleurs, montrer que nous avons progressé ». L’objectif partagé par les sponsors et l’équipage, outre cette place dans les 10 premiers est de « faire un coup d’éclat ». Sur ce que la yole a réalisé depuis le début de saison ; elle en a les moyens.
D’autres yoles ont démontré, au gré de courses, qu’elles avaient la capacité de faire des résultats, de disputer les étapes aux meilleures et donc de réaliser un bon Tour. DietDiscount / Orfèvre du Bois / Julians / STPLM qui a fait 5ème dimanche dernier au Robert, GFA Caraïbes / Digicel deux fois 5ème le 14 juillet à Trinité, Caisse d’Epargne / Monétik Alyzée 3ème le 19 juin au Robert, Zizitata deux fois 5ème le même jour. Après, la chance, la motivation, l’envie, la capacité de se dépasser, de faire abstraction de la souffrance pour obtenir un résultat, sont primordiaux dans un sport physique, exigeant, qui demande des qualités athlétiques particulières.
Que le meilleur gagne
Il faut s’attendre à des courses animées, vives, et pleines de rebondissements. D’années en années, malgré la crise qui dépasse le niveau local et qui a fortement touché les associations au niveau de leur budget, les équipages sont de plus en plus forts, mieux entraînés, bien préparés. Certains patrons font appel à la diététique, aux principes scientifiques de nutrition. Les corps sont endurcis, rendus résistants par les entrainements avant-tours. Le matériel est sans cesse amélioré. Il est devenu plus performant. Les voiles, les yoles, leurs profils, les matériaux utilisés ont évolué pour favoriser les prouesses en mer. Le poids des coursiers, leur positionnement idéal pour dresser la yole, la synchronisation de leurs déplacements sur les bwa drésé, sont aujourd’hui disséqués, analysés, pris en compte. Le hasard a de moins en moins de place à ce niveau.
Tous les patrons partent avec l’ambition de faire un beau Tour. Certains vous diront, prudemment, du bout des lèvres, qu’ils partent pour gagner le Tour. Parce qu’ils savent combien les aléas de la course influent quelquefois de façon dramatique sur les résultats. Il y a tellement d’incertitude sur ces embarcations instables, sensibles, ardentes, difficiles à manœuvrer. Toutes les surprises, tous les incidents sont possibles. C’est pourquoi, chacun a sa chance de briller sur une étape et de rendre heureux ses supporters. Néanmoins, la course se jouera entre les meilleurs. C’est-à-dire non seulement ceux qui connaissent la mer, le vent, la navigation, les courants, mais surtout entre ceux qui seront les mieux préparés, qui auront le matériel le plus fiable et qui bénéficieront de ce grain de chance, cette caresse du destin, indispensable pour vaincre.
Pour tous, il faudra faire claquer les couleurs au vent, dans cette opulence médiatique que constitue la grande aventure du Tour et surtout, au diable la victoire, réussir à marquer la mémoire collective du « Peuple de la Yole ». Arriver à graver des souvenirs légendaires de bords extraordinaires, d’exploits épiques ou de moments d’émotions comme celui qui fait que des années après on se souviendra de la 5ème place de la yole Le Phénomène « Mr Bricolage » l’an dernier au Diamant et des coursiers des 4 yoles qui l’avaient précédée sur la plage, applaudissant spontanément l’exploit des jeunes de Joanny Lagin.
A l’issue de la course de dimanche au Robert, l’avis général des coursiers quelque soit l’équipage interrogé était de dire que «Nou paré. Nous sommes prêts. La yole, les voiles, l’équipage, on est prêt pour le Tour 2011 ».
Charles-Henri Fargues
(Auteur de ATHON MAS, LE GRAND DEFI – K-Editions 2009)
*La Fédération des Yoles Rondes de Martinique s’est substituée à la Société des Yoles Rondes de Martinique qui existait depuis l’origine, lors de son Assemblée Générale du mois de juin.
**Challenge : nom du championnat. Il se déroule lors de compétitions dans les communes, généralement le dimanche sur deux régates, une course à deux voiles et une autre à une voile, dite à la misaine.
Photo : le maillot orange de la combativité