Par Alexandre LAÏ-KANE-CHEONG
L’un des objectifs de l’Union Européenne (UE) a été de libéraliser les échanges entre les Etats membres par la soumission des opérateurs économiques à des règles de concurrence uniformes. L’opérateur économique ou l’entreprise, au sens européen du terme, est une entité exerçant une activité économique indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement.
Afin d’assurer l’objectif précité, l’article 28 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) trace les contours d’une union douanière à l’intérieur de laquelle il est interdit de fixer entre Etats membres des droits de douane à l’importation et à l’exportation. Sont également prohibées toutes autres taxes qui auraient un effet équivalent.
Enfin, ces Etats membres ont décidé d’adopter un tarif douanier commun dans leurs relations avec les pays tiers. Il en découle alors une impossibilité d’appliquer une fiscalité différente entre produits fabriqués dans les Départements d’Outre-Mer (DOM) et produits importés de France métropolitaine et a fortiori des autres Etats membres. Or, l’UE, soucieuse de mettre la totalité des opérateurs économiques sur un pied d’égalité pour ne pas fausser le libre jeu de la concurrence, a pris en considération le cas particulier des régions ultrapériphériques telles que définies par l’article 349 du TFUE, parmi lesquelles nous comptons les DOM français ; un peu à la manière dont le Pacte budgétaire européen prévoit, en matière de déficit public, que le solde structurel corrigerait le solde nominal annuel des variations conjoncturelles, déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires. Ainsi, pour pallier à l’insularité, à l’éloignement et à la dépendance économique des DOM à certains produits, le Traité permet de prévoir des mesures spécifiques, notamment sur le plan fiscal, considération faite des caractéristiques propres à ces régions. L’octroi de mer, récemment prolongé par la décision 940/2014/UE du Conseil de l’UE, transposée en droit interne par une loi du 28 juin 2015 dont le décret d’application a été promulgué le 28 août 2015, est la parfaite monstration de la dérogation sus-évoquée, permettant de taxer dans les DOM, d’une part, l’importation de produits extérieurs à ces DOM et d’autre part, certains produits fabriqués localement. Si l’octroi de mer participe à hauteur de 40% des recettes fiscales des collectivités territoriales d’Outre-Mer, celui-ci a en revanche toujours été pensé comme une disposition transitoire et non définitive. Instauré en 1670 pour les produits importés, l’octroi de mer a été étendu aux produits localement fabriqués par une loi de 1992.
Or, cette mesure était limitée à 10 ans, dont prorogation a été exceptionnellement faite en 2003 pour une année. En 2004, le dispositif a été une fois de plus autorisé pour 10 ans. Enfin, en 2014, le Conseil de l’UE autorise ledit dispositif jusqu’au 31 décembre 2020.
L’octroi de mer, ce sont donc les béquilles des opérateurs économiques des DOM qui doivent à terme s’en émanciper, une fois devenus davantage compétitifs. Toutefois, à proroger sans cesse le dispositif, on finit par perdre de vue sa finalité… Pire, ne risque-t-on pas de provoquer l’inverse des effets escomptés ?
Voici que les opérateurs vont devenir tout à coup moins ambitieux, plafonnant leur chiffre d’affaires à 300 000€ pour éviter d’être assujettis à l’octroi de mer. Voilà que les secteurs assujettis vont être délaissés, au profit de ceux qui y échappent, notamment les prestations de services déjà saturées sur l’île.
De surcroit, la taxation des produits extérieures ne constituerait-elle pas un frein au renforcement des coopérations économiques avec les pays hors de l’UE, notamment ceux sis dans la zone india-océanique ?
Par ailleurs, la part des recettes des collectivités locales d’Outre-Mer constituée par l’octroi de mer soulève, à la veille des élections régionales, des questions qui méritent d’être éclaircies. Les informations concernant les exonérations envisagées sont inexistantes de la part des candidats. Si le conseil régional peut adjoindre un octroi de mer régional dans la limite de 2,5%, quid des dépenses engagées à partir de ces recettes ? En résumé, la prorogation de l’octroi de mer fonctionnant comme une protection de la production locale de la concurrence extérieure, révèle alors une économie réunionnaise encore trop fragile, trop peu concurrentielle, et met surtout en exergue un modèle économique à repenser…
Pour information, le groupe Mauricien Phoenix, après un contrôle préventif de l’Autorité de la concurrence, devrait dans le mois qui suit, racheter Edena… Voilà une économie qui n’est pas frileuse… Et sans octroi de mer !