La reprise des échanges avec l’extérieur est spectaculaire et témoigne d’un regain de l’activité économique. Les importations en biens et services progressent de 18,8 %. Parallèlement, les exportations augmentent de 22,8 % entre 2009 et 2010.
Les autres indicateurs se redressent également. Seule la consommation des administrations publiques est en recul ».
Par conséquent, il s’agit d’une croissance principalement due à la consommation et son double l’importation et non .à l’investissement, en particulier dans le BTP.
L’annonce de ce taux de croissance du Produit Intérieur Brut martiniquais (richesse globale) de 4,6 % en 2010 constitue une surprise. L’Iedom avait diagnostiqué que 2010 avait enregistré « une reprise en demi-teinte » (Note expresse n° 92 de mars 2011). L’Insee, pour sa part, s’était contenté de relever « des signes de reprise en 2010 » (revue Antiane-Eco n° 74 de Juillet 2011). On attendait une hausse du PIB de 1,8 à 2 %.
Phénomène de rattrapage de la consommation
Le rédacteur de la note, Cédric Mureau de la Direction INSEE Antilles-Guyane, explique la forte hausse de la consommation des ménages est « le principal moteur de la croissance » et peut s’expliquer par « un phénomène de rattrapage, phénomène classique dans une économie de sortie de crise ». Des dépenses non réalisées en 2009 ont pu être reportées en 2010, est-il avancé. Pour l’Insee, la hausse des dépenses des ménages peut s’expliquer aussi, et dans une moindre mesure, par la hausse du revenu disponible de 2,9 %. L’Insee semble oublier les hausses de bas salaires obtenues à l’issue du conflit social de février-mars 2009 et la prime de vie chère de 100 euros. Il mentionne le rôle positif de la hausse des prix modérée de 2010 (1,6 %) sans rappeler qu’elle est due pour une bonne part à l’accord de prix BCBa de mars 2009. Ce qui aurait donc engendré une augmentation du pouvoir d’achat et par là même de la consommation.
Un investissement encore « timide »
Par contre, à l’inverse du communiqué de la Région, l’Insee estime que les investisseurs sont encore « timides ». Certes les importations de biens d’équipement ont fortement augmenté (+ 30 %), mais elles restent à un niveau inférieur à celui de 2008 (- 14,4 %), c’est-à-dire avant-crise. L’investissement augmente bien de 4,6 % en volume, mais il progressait de 9 à 10 % avant 2008. L’investissement total passe de 1,5 milliard d’euros en 2009 à 1,6 milliard d’euros en 2010, soit un supplément de seulement 100 millions d’euros sur une progression de 400 millions d’euros du produit Intérieur Brut qui affiche 8,1 milliards d’euros en 2010 au lieu de 7,7 milliards d’euros en 2009. Malheureusement l’Insee ne détaille pas la part de l’investissement privé et celle de l’investissement public.
L’Insee relève néanmoins que « l’investissement des ménages retrouve un peu de dynamisme » avec une hausse des crédits de l’habitat de 6,7 % en 2010 contre 4,3 % en 2009. Donc une part du regain d’investissement global est redevable aux ménages et aux banques.
Ce qui est important, c’est que l’étude souligne que « la commande publique reste en retrait par rapport aux années précédentes ». Et la consommation des administrations publiques a reculé de 1,2 %.
Comment, par conséquent, Jean-François Lafontaine peut-il voir dans la pseudo-reprise l’effet du seul plan de relance régional et de la stimulation du tourisme quand la nouvelle majorité est arrivée aux affaires en mars 2010 ?
Une reprise des échanges dopée artificiellement par l’envolée des cours du pétrole brut
Cette prétendue reprise est basée essentiellement sur la progression des importations, notamment de biens de consommation. Dans les importations et les exportations il faut signaler la forte augmentation des prix des hydrocarbures du fait de la forte hausse des cours internationaux du pétrole brut (brent) qui représente le quart de la valeur importée (pétrole brut) et la moitié des exportations (carburants). La reprise des échanges ne reflète nullement une vraie « reprise globale de l’activité », comme l’écrit l’Insee.
Tourisme : la sortie du tunnel ?
Les comptes économiques enregistrent par ailleurs un regain d’activité dans le tourisme. Le nombre de touristes est en progression de 6,7 % sur 2009 et ils ont dépensé 15,2 % de plus. Mais cela ne représente encore que 3,6 % du PIB martiniquais. Avec 620 000 visiteurs en 2010 la Martinique ne retrouve pas le niveau d’avant 2008 (631 000 touristes) et encore moins le million de 1999. La Martinique est 10ème destination caribéenne en 2010. Donc les cocoricos de Cluny sont prématurés.
Qui donc bénéficie de cette pseudo-reprise ?
Les organismes officiels nous disent que c’est principalement le commerce. Et cela est du à la hausse de la consommation finale des ménages et des échanges extérieurs (en réalité l’importation au principal).
La contribution des branches à l’évolution de la valeur ajoutée (richesse) de 4,6 % est tout à fait édifiante :
- Services marchands (commerce et autres) : 4 % ;
- Industrie : 0,25 % ;
- Services non marchands : 0,2 % ;
- BTP : 0,12 % ;
- Agriculture-pêche : 0,03 % ;
Voilà la signification de la soi-disant « reprise » en économie dépendante de type néo-coloniale : l’essentiel de la croissance vient du commerce et de l’importation. .
Augmentation du nombre de demandeurs d’emploi en 2010
L’Insee considère qu’en 2010 « la situation du marché du travail s’améliore mais reste tendue ». Il explique cependant : « le nombre de demandeurs d’emploi de catégories A B et C augmente de 2,8 % sur l’année 2010. Le nombre de demandeurs d’emplois de longue durée (plus d’un an d’inactivité) augmente quant à lui de 5,4 %. Les effets de la crise sont encore largement perceptibles sur l’emploi ». Mais où est donc l’amélioration du « marché » du travail en 2010 quand, de surcroît, le nombre de demandes d’emploi augmente (+ 12,0 % sur un an) et celui des offres stagne voire diminue (-1%). Cela veut dire qu’il a été enregistré 54 843 demandes d’emploi au cours de l’année et que les offres d’emploi s’établissent à 10 382, soit 1 offre pour 5 demandes (source : rapport Iedom 2010) ? La note de la Région a du admettre que la situation de l’emploi reste « préoccupante ». Tout de même…
L’augmentation du pouvoir d’achat entièrement justifiée socialement, sans instrument pour l’orienter vers la production, nous réinstalle dans le cercle vicieux consommation-importation-appauvrissement du pays.
Nouveau ralentissement économique au premier semestre 2011
Au surplus, cette très relative reprise de 2010 qui est en réalité en grande partie un « rattrapage » de la consommation de 2009 semble s’être enlisée dans le ralentissement économique constaté en 2011 si on en croit les données officielles les plus récentes de la conjoncture sur le premier semestre 2011 (cf Justice n° 40 du 6/10/2011) : activité économique « incertaine », prévisions des chefs d’entreprises « pessimistes », situation toujours « difficile » de l’emploi avec la poursuite de l’augmentation du chômage, intention d’investissements privés « mal orientées », consommation des ménages « incertaine », reprise toujours des importations, surendettement en hausse, contraction de la production et de la consommation de produits pétroliers de 7,9 % sur un an en octobre 2011, ventes cumulées de ciment en hausse annuelle de seulement 1,3 % en août 2011, etc.
Infantilisme ou volonté de truquer ?
Le commentaire de la note économique de l’Insee signé du Directeur de cabinet du président du Conseil régional, Jean-François Lafontaine, se veut volontariste et se termine ainsi : « La Martinique doit, compter sur l’implication concrète de toutes ses forces vives, croire en la détermination des acteurs publics mais aussi privés pour être volontaires chacun dans nos rôles à l’émergence d’un monde nouveau. On pourra alors comme le dirait notre regretté disparu Aimé Césaire « Toiser l’avenir avec insolence… ».
Effectivement, on peut toujours s’illusionner en usant de la méthode Coué et citer Césaire pour célébrer le retour de la fausse croissance néo-coloniale à l’instar des hôtes actuels de l’hôtel de Région.
Une fois de plus, on a le sentiment que l’Etat est le grand absent de cette vision de l’économie martiniquaise. Les résultats positifs sont à mettre à l’actif de la Région. Et la persistance du chômage, qui est responsable ? Ce raisonnement est infantile dans son désir de solliciter (pour ne pas dire truquer) les chiffres.
A l’heure de la crise, rien n’est plus urgent que de lutter contre la politique de régression sociale du pouvoir et préparer une Alternative Martiniquaise de Progrès nous donnant les vrais leviers de décision pour agir. Faire preuve de volontarisme et « toiser l’avenir avec insolence » selon la formule césairienne, oui, mais en se donnant les moyens de l’affronter
Michel Branchi
Economiste
Rédacteur en chef de Justice
28/11/2011