La raison de cette hypothétique inversion: deux chercheurs viennent d'évaluer que 19 000 kilomètres cubes d'eau non salée, et froide, ont déferlé dans l'Atlantique depuis 40 ans ?résultat de la fonte des glaces du Groenland. C'est énorme. En théorie, ça pourrait être suffisant pour donner un coup de froid au Gulf Stream. Rappel. Le Gulf Stream est ni plus ni moins qu'une "rivière" au milieu de l'océan Atlantique. Une rivière d'eau plus chaude qui court des Antilles jusqu'en Europe. Elle est d'une aide précieuse à la navigation: un navire qui y entre par les Antilles, par exemple, raccourcit la durée de son voyage vers l'Europe. Mais elle est surtout un élément-clef de la biologie des deux côtés de l'Atlantique, et du climat mondial: les eaux plus chaudes qu'elle entraîne avec elle depuis les Antilles vont réchauffer les côtes européennes ?c'est ce qui explique que, bien que Paris soit situé plus au Nord que Montréal, il fait plus chaud à Paris qu'à Montréal. Arrivées dans le Nord, les eaux plus froides et plus salées de cette rivière "coulent" en quelque sorte vers le fond de l'océan, où elles retournent vers le Sud, complétant ainsi un cycle. Or, affirment les théoriciens, le déversement d'autant d'eau froide dans l'Atlantique ne se contentera pas de refroidir le Gulf Stream. En diluant ce courant d'eau chaude, en atténuant petit à petit la vigueur de cette rivière, bref en déséquilibrant ce cycle, il finira, à terme, par carrément l'inverser: autrement dit, la rivière qu'est le Gulf Stream s'en ira dans l'autre sens, "descendant" de l'eau froide vers les Antilles. Et refroidissant du coup l'Amérique du Nord. Tout cela, c'est de la théorie. Dans les faits, on ignore comment le Gulf Stream réagira à un réchauffement généralisé de la planète. Il est possible que cette inversion du processus ne soit qu'un mythe. Il est possible que la "plomberie" de l'Atlantique soit beaucoup plus complexe qu'on ne le soupçonne. Les climatologues disposent de nombreuses données démontrant que l'océan se refroidit, mais jusqu'à la semaine dernière, ils avaient peu de choses pour affirmer que le Gulf Stream était en train de s'affaiblir. Dans une étude publiée dans la revue Science, l'Américaine Ruth Curry, de l'Institut Woods Hole d'océanographie (Massachusetts) et la Norvégienne Cecilie Mauritzen, de l'Institut météorologique d'Oslo, apportent pour la première fois de telles données. Cela ne signifie pas pour autant qu'on ait fait les premiers pas vers une inversion du Gulf Stream, s'empressent-elles de préciser. Si tel devait être le cas, un changement ne serait pas mesurable avant un siècle, estime Curry. Leur recherche est bien davantage saluée par les autres scientifiques comme une contribution majeure aux experts qui, depuis des années, travaillent à construire des modélisations informatiques de l'évolution future des océans et des climats. Un travail gigantesque, qui nécessite des quantités astronomiques de données: cette recherche apporte quelques pierres de plus à l'édifice. (Agence Science-Presse)