En #Martinique on appelle ça un bok. Dans le pays de Molière on préfère dire que c’est un « recadrage ». La scène se passe à l’Assemblée Nationale française.
M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant article additionnel après l’article 23. La parole est à M. Serge Letchimy, pour soutenir le no 111.
M. Serge #Letchimy. J’aborde là une question que vous connaissez très bien, madame la ministre, et que tout l’outre-mer connaît, en particulier les pays de la Caraïbe – non seulement la Martinique, la Guadeloupe et Saint-Martin, mais aussi la Guyane : il s’agit des algues sargasses.
Ce phénomène extrêmement grave ne manque pas de surprendre : certains spécialistes estiment qu’il est lié au changement climatique, d’autres qu’il provient de la mer des Sargasses, d’autres encore qu’il trouve son origine du côté de l’Amérique du Sud. En tous les cas, il a pour conséquence d’inonder la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane d’algues qui posent de véritables problèmes de santé et de très graves problèmes économiques. Les enfants sont malades, le matériel électronique est ruiné, les bâtiments et les maisons commencent à être affectés.
Certaines initiatives sont prises par les collectivités régionales de la Martinique et de la Guadeloupe pour enlever les algues, car, stockées en masse le long des côtes, elles posent de véritables problèmes fonctionnels. Or, il faut bien stocker quelque part ces produits extrêmement nocifs, pour lesquels les processus de réutilisation sont encore précaires et artisanaux. Le matériel de ramassage des algues et même les prévisions en la matière sont parfois obsolètes.
L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, qui connaît très bien ce sujet, a décidé en lien avec l’État et avec les régions de Martinique et de Guadeloupe de lancer des appels à projets pour ramasser ces algues et surtout pour les traiter. Des très beaux projets de valorisation ont été déposés.
Pourtant, s’il existe des procédures très précises concernant les cyclones ou d’autres risques chimiques et technologiques, il n’y a aucune déclaration de catastrophe naturelle concernant les algues sargasses. Notre collègue Nestor Azerot l’avait demandé, mais il n’existe aucune procédure. D’autre part, il n’existe pas non plus de processus permettant d’assimiler ce phénomène à un risque naturel.
Mon amendement vise donc à ce qu’il puisse être couvert dans le cadre d’un plan de prévention des risques naturels – PPRN.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Serge Letchimy. Oui, monsieur le président, mais c’est un sujet extrêmement important, que je vous invite à aller découvrir sur place !
Je sais, madame la ministre, l’observation que vous me faites quant aux conséquences de l’utilisation du PPRN, et il n’est pas question pour moi d’imposer une interdiction d’habiter ou de fonctionner. Je ne fais donc que vous proposer cette solution, mais il me semble que vos services en ont préparé une autre basée sur un processus de vigilance. Un tel processus n’existe pas aujourd’hui, pour un problème pourtant si grave.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Paola Zanetti, rapporteure. En effet, j’ai vu des photographies d’échouages d’algues sargasses : c’est très impressionnant. Pour autant, comme vous l’avez rappelé, monsieur le député, le PPRN n’est pas la bonne « entrée » pour traiter du problème, puisqu’il porte sur les contraintes de constructibilité liées à l’existence de risques naturels graves et permanents et qu’il entraînerait des conséquences extrêmement importantes pour vos communes.
Il me semble plus proportionné de traiter les échouages d’algues sargasses par un ramassage rapide que par des interdictions de construction. C’est pour cela que l’État a pris des mesures d’aide au ramassage assuré par les collectivités, dans l’attente des conclusions d’un rapport du Haut conseil de la santé publique sur les impacts sanitaires de ce phénomène. Je crois en effet savoir que l’État finance des « brigades vertes » et a débloqué des fonds de l’ADEME à hauteur de 1 million d’euros pour acquérir des engins de ramassage. L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme George Pau-Langevin, ministre. Il est vrai que depuis près d’un an, les Antilles sont confrontées au phénomène nouveau et récurrent de l’échouage d’algues sargasses en quantités extrêmement importantes. Lors de mon déplacement à la Martinique, cette année, j’ai eu l’occasion de survoler l’île et de constater l’ampleur des dégâts.
Cela étant, il s’agit d’un phénomène complexe, qui va et qui vient : un échouage massif peut se produire un jour et les algues peuvent avoir disparu le lendemain.
Nous avons donc, avec la ministre de l’environnement, pris plusieurs mesures afin d’aider les collectivités qui sont chargées du ramassage. Nous participons financièrement à la constitution de brigades vertes afin de former et de payer les ramasseurs. Nous avions d’abord mis à disposition des jeunes du service militaire adapté, mais le ramassage ne saurait devenir leur travail, dans la mesure où il s’agit d’un phénomène récurrent. Bref, nous avons financé ces brigades vertes. Il faut désormais que les élus se chargent de la formation des jeunes qui y participent.
D’autre part, nous participons au financement de l’achat par les communes de matériel de ramassage sur les plages les plus touchées. Il nous faut reconnaître que ce phénomène, qui semblait ponctuel, est désormais récurrent et que nous devons nous organiser pour le combattre durablement. On nous a indiqué que le matériel de ramassage n’est pas toujours adapté ; il faut y remédier.
D’autre part, nous conduisons des études pour comprendre l’origine du phénomène : la mer des Sargasses se trouve au nord des Antilles, alors que les sargasses dont nous parlons viennent plutôt du Sud. Autrement dit, il s’agit d’un phénomène nouveau que nous ne parvenons pas encore à comprendre et qu’il faut analyser.
Enfin, il faut également décider quoi faire de ces algues lorsqu’elles s’échouent en grandes quantités. Certes, elles dégagent une odeur particulièrement désagréable, mais elles contiennent également des nutriments qui peuvent être utilisés soit en cosmétique, soit en agriculture. Il faut donc que nous affinions les recherches sur la manière de traiter ces algues une fois qu’elles sont ramassées.
Je suis d’accord avec vous, c’est une question importante, mais la solution qui consiste à réglementer l’utilisation des sols, voire à proposer des servitudes d’urbanisme ou des interdictions de construction sur la bande littorale ne nous semble correspondre ni aux difficultés ni aux habitudes en Martinique et aux Antilles. Je ne crois pas que ce soit la bonne réponse.
Enfin, l’état de catastrophe naturelle, que beaucoup nous demandent, s’il facilite l’indemnisation des personnes, ne permet pas d’obtenir des fonds supplémentaires. Nous avons approfondi la question mais sans voir en quoi cela serait une solution.
Le plan que nous avons engagé, financé en grande partie par l’ADEME, compte tenu du fait qu’il s’agit d’un phénomène extrêmement désagréable, nous permet d’avancer. Les autres solutions, qui peuvent paraître plus séduisantes, ne me semblent pas reposer sur des considérations juridiques solides.
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Je remercie Mme la ministre pour la qualité de sa réponse. Je peux comprendre que l’amendement de Serge Letchimy ne soit pas la bonne entrée, mais j’aimerais lui exprimer ma solidarité car lui et moi sommes confrontés à peu près à la même réalité.
Nos collègues ne se rendent pas compte de ce qu’est cette réalité. La Guadeloupe fait partie d’un archipel composé de Marie-Galante, Terre-de-Bas, Terre-de-Haut et La Désirade. Récemment la maire Marlène Miraculeux-Bourgeois était tellement désespérée qu’elle a menacé de monter au sommet d’une grue et de se jeter dans le vide. Emmanuel Duval, maire de Terre-de-Bas, a décidé de faire la grève de la faim. J’ai été obligé de sauter dans une barge avec des matériels de location pour aller dégager le port, ce qu’avait aussi fait le département, et dégager les plages. Il est impossible d’accoster ! C’est toute l’économie qui est paralysée, on ne peut rien faire, sans parler des nuisances olfactives et de l’éventuelle nocivité des algues !
On nous dit que nous pourrions peut-être en faire de l’engrais, du plastique, du charbon actif… Bref, la recherche n’est pas prête. Les études n’ont pas abouti, même avec l’aide des satellites et des avions.
Je remercie le Gouvernement des aides qu’il a déjà annoncées : 1,5 million d’euros et des emplois aidés pris en charge à 100 %. Pourtant, j’ose le dire, ce n’est pas suffisant.
J’ai moi-même été amené à mutualiser avec le préfet de région, et j’imagine que Serge Letchimy a fait de même, pour créer un fonds. Je contribue également à l’achat de matériels, mais ils ne sont pas adaptés. À Marie-Galante, par exemple, on nettoie les plages avec des cane loaders, des appareils utilisés pour lever la canne à sucre, ce qui détruit les plages et les fonds marins. Et toutes sortes de vendeurs viennent nous proposer des matériels expérimentaux… Bref, on veut nous voir régler le problème alors que les Bretons ont mis plus de trente ans pour mettre au point une filière de traitement des algues vertes !
Je demande aussi au Gouvernement d’expliquer aux gens qu’on ne peut pas déclarer l’état de catastrophe naturelle. Si nous, nous pouvons le comprendre, les opinions publiques, qui vivent douloureusement cette réalité, ne le comprennent pas. Il faut leur expliquer, peut-être en allant plus loin que sont allées les ministres de l’écologie et des outre-mer. C’est une urgence. Même les États-Unis, le « géant américain », n’ont pas su régler le problème. Peut-être faut-il donner une explication, engager plus de moyens, accélérer la recherche et trouver les solutions appropriées, et peut-être aussi des solutions juridiques.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gibbes.
M. Daniel Gibbes. Je me joins à Victorin Lurel et Serge Letchimy, car les algues sargasses représentent une véritable problématique dans nos îles. Si c’est vrai pour la Martinique et la Guadeloupe, qui sont deux destinations touristiques, imaginez ce que cela peut représenter pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy, qui vivent à 90 % du tourisme !
Je me réjouis d’apprendre que des fonds ont été débloqués pour ces deux territoires. Nous n’en bénéficions pas encore mais je pense, madame la ministre, qu’il s’agit d’un oubli que vous allez réparer rapidement.
Je confirme que, pour nos destinations, les algues sargasses sont devenues une problématique qu’il devient de plus en plus urgent de régler. C’est pourquoi je m’associe à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy. Madame la ministre, je tiens à exprimer clairement ma désapprobation. Je suis d’accord avec vous sur la porte d’entrée : classer la présence des algues dans les PPRN poserait des problèmes. J’en ai d’ailleurs discuté avec vos services, qui devaient préparer un amendement du Gouvernement sur le sujet. Je ne vois pas d’amendement du Gouvernement, ce qui veut dire que vos services n’ont pas tenu parole.
Très honnêtement, les deux situations qui viennent d’être décrites sont en deçà de la réalité. Il y a quelque temps, il y a eu des algues vertes en France : la procédure de catastrophe naturelle a été enclenchée, ce qui a permis de régler des problèmes d’indemnisation et de protéger les activités économiques.
À la Martinique, aujourd’hui, plusieurs hôtels ont fermé, de nombreux touristes sont déportés à différents endroits, des pêcheurs ne peuvent plus travailler, des activités économiques cessent, en particulier les restaurants situés le long des côtes, parce que les réfrigérateurs, les ordinateurs ne fonctionnent plus. On parle de gêne olfactive, comme s’il s’agissait juste d’une petite odeur. Mais ce n’est pas une petite odeur, c’est une odeur qui génère des maladies. Et cela fait quatre ans que ça dure, pas un !
Certes, l’État n’en porte pas la responsabilité. Et puisqu’il faut parler d’argent, l’État en verse. Mais la collectivité que je gère a dépensé 1,5 million d’euros et participe au financement de projets qui n’aboutiront que dans cinq ou six ans. Car avant de faire fonctionner une usine de retraitement de plastique, il faudra bien cinq ans ! Et pendant ce temps, que fait-on des sargasses ?
J’ouvre une porte au Gouvernement car c’est une question qui devient éminemment politique. Lors de sa visite en Martinique, une représentante du groupe de M. Gibbes, Mme Kosciusko-Morizet, a clairement condamné le Gouvernement en disant que c’était une situation anormale. Bien sûr, nous l’avons contrée, mais il n’en demeure pas moins que le problème est devenu éminemment politique et que nous allons vers une catastrophe économique. Nous avions des sargasses tous les dix ans, maintenant nous en avons chaque année.
M. Victorin Lurel. Chaque semaine !
M. Serge Letchimy. Je vous invite à regarder les photos du phénomène, vous verrez que la situation est grave. Nous sommes en plein dedans, essayant de nous débrouiller, alors ne me répondez pas que l’État va apporter 100 000 ou 200 000 euros ! L’an dernier, j’ai dépensé 400 000 euros pour cofinancer le ramassage à la main par des jeunes. J’y ai moi-même participé il y a quatre ans.
Je considère qu’une mobilisation est nécessaire. Je préfère que vous me répondiez que cet amendement n’est pas acceptable parce la porte d’entrée n’est pas la bonne, et d’ailleurs je le retire, mais en dehors du droit il y a une décision éminemment politique à prendre.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme George Pau-Langevin, ministre. Ce n’est pas la peine de s’énerver ainsi, monsieur le député. Nous sommes face à un phénomène naturel extrêmement désagréable pour vous, mais ce n’est pas le Gouvernement qui fait venir les sargasses ! C’est un phénomène nouveau que personne ne sait analyser, dont personne ne sait d’où il vient. Je ne vois pas comment, seuls, avec nos petits bras, nous trouverions le moyen de le régler.
Je vous ai indiqué qu’avec Mme Ségolène Royal, nous avions commencé à aider les communes pour le ramassage des algues et à étudier le phénomène, pour comprendre notamment d’où il vient. Car avant de régler les problèmes, il faut d’abord les analyser.
Nous avons engagé des moyens pour aider les communes à régler ce problème. Je suis prête à réexaminer le dossier et à intensifier notre aide, mais je n’admets pas que l’on reproche au Gouvernement de mettre lui-même le tourisme de la Martinique dans une situation difficile.
Par ailleurs, monsieur le député, vous qui êtes très engagé dans la zone, il me semble que s’il y a un sujet sur lequel nous devons travailler avec les autres États de la Caraïbe, c’est bien celui des sargasses ! Car si les algues arrivent sur les côtes de la Martinique et de la Guadeloupe, elles arrivent aussi dans les autres îles. Il me semble que nous devons partager notre analyse et notre explication du phénomène ainsi que les différents traitements possibles avec les pays voisins.
Ensuite, les représentants du ministère de l’intérieur, avec qui j’ai discuté du problème à plusieurs reprises, considèrent qu’il ne relève pas de la catégorie des catastrophes naturelles. Les personnes que nous avons rencontrées sur place nous disent, par exemple, que depuis l’arrivée des sargasses leur réfrigérateur a noirci ou que leurs bijoux sont abîmés. Mais le problème est qu’il n’existe aucune causalité entre les dommages allégués et l’arrivée des sargasses, précisément parce que c’est un phénomène nouveau et que les uns et les autres sommes dans l’incapacité d’expliquer ce qui se passe.
D’ailleurs, Mme Kosciusko-Morizet, qui est venue sur place, a dit que c’était scandaleux et que le Gouvernement devait faire quelque chose, mais pour l’instant nous ne l’avons pas entendue exprimer la moindre idée pour nous expliquer ce que nous devrions faire !
M. Victorin Lurel. C’est exact !
Mme George Pau-Langevin, ministre. Je veux bien y travailler, je veux bien, avec les communautés de communes qui ont commencé à s’impliquer, essayer de régler le problème, mais je veux vous dire que lorsque j’ai effectué mon premier voyage à la Martinique en tant que ministre, il y a un an, personne ne m’a parlé de sargasses. Tout le monde pensait que ce n’était pas un phénomène durable. Aujourd’hui, nous avons compris que nous devions nous organiser dans la durée, mais nous n’y arriverons pas en nous rejetant les uns sur les autres la responsabilité de la crise du tourisme.
Nous devons aborder le problème tranquillement. Nous sommes déterminés à aider vos territoires. Nous avons compris le drame que représente l’invasion des sargasses pour le tourisme, mais, encore une fois, lorsque des catastrophes naturelles ou des événements comme celui-là surviennent, il faut travailler, retrousser ses manches pour y faire face, mais nous n’arriverons à rien si certains partent du principe qu’ils sont maltraités parce que tout cela se passe outre-mer.
M. Serge Letchimy. Ce n’est pas du tout ma conception !
M. le président. Je crois avoir compris, monsieur Letchimy, que l’amendement no 111 était retiré.
M. Serge Letchimy. En effet.
(L’amendement no 111 est retiré.)