Bondamanjak

Quelle Leçon Tirer De Barack Obama ?




Un magnifique texte introspectif de Ernest Pépin.

 

Comme de nombreux Guadeloupéens,
je suis fasciné par cet homme qui a réussi à faire entrer un noir à la maison
blanche. Les commentaires élogieux pleuvent de partout. C’est l’état de grâce
bien mérité. Pourtant une petite voix me souffle : et nous ?

 

Et nous guadeloupéens
qu’avons-nous fait ? Que faisons-nous ? Que ferons-nous ?

 

Passé les brûlures de
l’esclavage, passé les interminables débats sur l’identité, passés négritude et
créolité, comment devons-nous aborder le XXIème siècle dans une perspective qui
soit la notre.

 

Je ne renie aucune parcelle de
mon passé et je suis solidaire de tous les combats que nous avons menés mais je
voudrais me positionner résolument dans l’avenir.

 

Nous sommes un petit pays. Une
petite lèche de terre peuplée seulement de 400.000 habitants et pour le moment
nous sommes hors-jeu dans notre présent et presque condamné à quémander
l’avenir à ceux qui nous gouvernent. Chacun y va de sa chanson, de son
parcours, de ses rêves. C’est précisément cela qui nous manque : une chanson
commune, un parcours commun, un rêve commun. Peut-être avons-nous besoin de
savoir ce qu’est une société. Je veux dire une entité sociale, économique,
politique, culturelle dont les rouages s’articulent dans un système cohérent et
efficace.

 

Je constate que nous sommes une
somme de revendications syndicales obsessionnellement tournées vers les
questions salariales, le maintien des avantages acquis, la guerre contre le
patronat etc. Et ceci nous condamne à des postures agressives ou impuissantes.
Plus grave, agressives ET impuissantes. Ce ne sont pas les miettes lâchées ici
ou là qui vont changer la donne en l’absence de tout projet viable.

 

Je constate que nous nous noyons
dans le puits de la consommation. Les panneaux publicitaires fleurissent. Les
voitures de luxe encombrent les routes. Les gadgets de toutes sortes tiennent
lieu d’accès à la modernité. La modernité est un mot terrible. Cela fonctionne
comme une machine à broyer le passé, la culture (reléguée au rang de tradition
!), les manières de penser, de faire et de vivre. Nous voulons être en première
classe sans nous soucier de la destination du train.

 

Moi, j’ai envie de crier :
construisons les rails, construisons le train, construisons la gare.

 

Nous avons le choix entre trois
options :

 

– Laisser rouler les choses au
risque de se perdre.

– Devenir indépendant au risque
de s’appauvrir ;

– Tenter une autonomie au risque
de se faire gruger.

 

Il y a toujours un risque ! C’est
là notre douleur et c’est là notre lâcheté. En réalité, je crois qu’il faut
reformuler un projet guadeloupéen en toute responsabilité et en toute lucidité.

 

Qu’est-ce à dire,

 

Définir (redéfinir) quelle
peut-être notre fonction économique, sociale, politique et culturelle. Et
surtout définir (redéfinir) notre relation à la France et à l’Europe pour
sortir de l’assistanat (cette mendicité de droit) et de l’infantilisation (ce légitime
impôt prélevé par les bailleurs de fonds). Il faut donc commencer par nous
définir nous-mêmes en ayant le courage 
et l’humilité d’éviter les postures victimaires ou héroïques, les
positions dogmatiques, les immobilités conservatrices, les impasses de
l’idéologie et le suivisme soi-disant moderniste. Cela fait beaucoup de
contraintes mais la lucidité est à ce prix.

 

– Nous sommes, le plus souvent,
de piètres chefs d’entreprise.

– Nous sommes le plus souvent des
petits tas d’égoïsmes et au mieux des petites bandes de corporatismes.

– Nous sommes, le plus souvent,
de mauvais maris, de mauvaises épouses et pour finir de mauvaises familles.

– Nous sommes, le plus souvent,
une société violente au niveau des individus et au niveau du collectif.

– Nous sommes le plus souvent des
viveurs au jour le jour, des jouisseurs inconséquents. Toutes les industries du
loisir le savent : boite de nuit, sex-shop, déjeuner champêtre, hôtels,
Midi-minuit. Etc.

– Nous sommes le plus souvent des
travailleurs toujours en grève, en congé, en dissidence, en ruse et en laxisme.

– Nous sommes le plus souvent
abonnés à la seule culture populaire, oublieux de la culture du monde et trop
matérialiste pour comprendre qu’un poème, qu’un roman, qu’un tableau, qu’une
chanson, qu’une pièce de théâtre, etc. ne sont ni des divertissements ni des
exutoires mais des problématiques d’un autre possible de nous et du monde.

– Nous sommes le plus souvent une
insociété comme on dit une incivilité.

Et avec ça toujours empressé de
nous comparer à la France comme si le monde entier, les seuls modèles, les
repères absolus appartenaient à une France en crise depuis longtemps.

 

Nous regardons de haut la Caraïbe
et nous ignorons les Amériques. C’est pourtant selon la formule consacrée notre
environnement naturel. Alors que nous sommes si riches de l’argent des autres !

 

Il est de bon ton de dire qu’il
ne faut pas diaboliser la Guadeloupe, qu’il ne faut pas se flageller et qu’il
faut positiver. Toute critique est assimilé à une trahison ou à du vomi.
Posons-nous la question qu’est-ce qui est positivable ?

 

Une jeunesse aux abois !

Des citoyens irresponsables !

Des personnes âgées de plus en
plus isolées !

Un nombre grandissant d’exclus !

Un pouvoir local sans vision !

Des intellectuels bâillonnés par
la proximité !

Des artistes impécunieux et
subventionnés !

De grandes messes jubilatoires !

Une impuissance économique
chronique !

Un tourisme impensé !

Des rapports de classe et de race
viciés par le passé !

 

J’aime la Guadeloupe, mais je
crois qu’il faut lui dire ses quatre vérités. Pas de presse capable de
conscientiser ! Pas d’émissions éducatives et formatrices ! Une université trop
extravertie. Un artisanat désuet. Une langue créole qui fout le camp ! Nous le
disons entre nous, en petits comités. Nous le chuchotons mais nous avons honte
de le crier en public. Comme dit Franky, c’est la vie en rose ! Césaire l’a
écrit : « un paradis absurdement raté ». Maryse Condé l’a craché : la
Guadeloupe n’est pas un paradis ! Et nous sommes là plein de rancœurs  rancies, pleins de rêves non muris,
admirateurs des autres, ébahis devant notre moindre prestation d’humanité,
toujours dans la logique du rachat. Ah nos sportifs ! Au nom de quoi, le fait
d’être guadeloupéen fait d’un exploit sportif un miracle ? A moins de douter de
soi et d’estimer inconsciemment que nous n’avons pas droit à l’excellence.

 

Et c’est la première leçon que je
tire d’Obama : le droit au droit à l’excellence.

 

La deuxième étant de casser, de
répudier tous les discours qui obstruent l’horizon : la race, konplo a neg sé
konplo a chien ! Nou sé neg ! le fandtyou ! Cette moquerie permanente de tous
ceux qui tentent, qui osent et même parfois qui font. Etc.… Cette mise en
dérision de nous-mêmes !

 

La troisième étant de doter la
Guadeloupe d’un vouloir collectif qui transcende les différences, les rancunes,
les sottes compétitions, les querelles idéologiques, les xénophobies, les
nombrilismes, les chauvinismes à bon marché.

 

La quatrième étant de miser sur l’intelligence,
toutes les formes d’intelligence, pour élever le débat au-dessus des querelles
de personnes.

 

La cinquième d’assumer notre
histoire, toute notre histoire, par nous, pour nous, sans mendoyer une
reconnaissance que nous ne nous octroyons pas très souvent. C’est de
nous-mêmes, de notre énergie, de notre créativité, de nos talents, de nos
forces, de notre rigueur, de notre respect pour nous-mêmes que viendra la
reconnaissance et non de telles ou telles victoires plus symboliques que
réelles.

 

Se déplacer à Washington pour
dire « j’y étais ! » c’est bien. S’atteler au char de la Guadeloupe c’est mieux
!

 

Obama est un homme qui a cru en
son pays sans renier ses origines. C’est un homme qui a cru en la capacité de
son pays à dépasser les frontières des pensées établies. C’est un homme qui a
su faire croire en lui. C’est ce pari là qu’il faut gagner.

 

Si nous disons : « mon pays c’est
la France ». Alors, il faut assumer et faire en sorte que la France change et
on ne peut le faire sans les Français de l’hexagone.

 

Si nous disons « mon pays c’est
la Guadeloupe colonisée ».Alors, il faut l’assumer et décoloniser la Guadeloupe
en privilégiant les armes de la décolonisation de l’imaginaire, de l’économie,
du culturel, du politique et du social. Il est inconséquent de prôner la
décolonisation en jouant le jeu d’une surintégration parfaite et indolore.

 

Si nous disons « mon pays c’est
la Guadeloupe autonome ». Alors il faudra l’assumer en se préparant à exercer
un pouvoir local plus riche en compétences et désireux de développer une
richesse guadeloupéenne.

 

Si nous ne disons rien, nous
sommes coupables de nous croiser les bras devant une société qui se saborde
(violences sexuelles, violences des jeunes contre les jeunes, violence des
hommes contre les femmes, violences au sein des familles, violences sociales
plus ou moins sournoises). Une société 
qui se cache derrière le paravent de la consommation. Une société de
gestion ou de géreurs et non une société de l’entreprendre. Une société qui a
mis en faillite les intellectuels de tous bords.

 

Une société en danger.

 

Oui, je dis bien en danger !
Pendant que nous nous livrons à des actes de cannibalisme (les uns à l’encontre
des autres !), en l’absence de projet construit par nous et soutenu par nous,
des forces agissantes décident pour nous, grignotent le territoire, contrôlent
l’économie, décident pour nous ! Je ne parle pas de race, je parle de filières,
de réseaux, d’organisations structurées, de puissances financières. Il suffit
de regarder Jarry, d’aller à Continent, à Millénis etc. Combien de
Guadeloupéens font partie du vrai jeu économique ? Nous ne sommes, à part
quelques cas, que des sous-traitants et surtout des sous-gagnants.

 

Il est vrai que nous sommes
soumis comme les autres aux durs effets de la mondialisation, que nos marges de
manœuvres sont limitées et que nous sommes un petit marché.

 

Ceci nous exonère pas de penser,
de nous organiser, de lutter dès lors que l’objectif est clair, accepté et
positif. Quels objectifs pour l’art, l’économie, le social, le politique ?
Comment les atteindre ? Avec quelle stratégie ? En clair comment (re)bâtir la
Guadeloupe ?

 

Il me semble souhaitable
d’arriver à commercialiser notre culture sans la prostituer, à exporter ses
meilleures créations et surtout à nous nourrir d’elle. Pour le moins, faire
entrer la notion de dépenses culturelles diversifiées dans les budgets des
familles et des entreprises serait un grand progrès.

 

Il me semble souhaitable
d’envisager un développement rentable de l’agriculture afin de pourvoir, le
plus possible, à nos besoins et à ceux des marchés qu’il nous appartient de
trouver à l’extérieur.

 

Il me semble souhaitable de
repenser de fonds en comble l’industrie touristique. Je dis bien
l’industrie  en l’accompagnant des
produits du soleil (maillots de bain, serviettes, lunettes de soleil, crème
solaire, vêtements etc) made in Guadeloupe ou labellisés « Guadeloupe » .
C’était une idée de Paco Rabanne. Je doute qu’elle ait été entendue !

 

Il me semble souhaitable de
rechercher les voies et moyens d’une solidarité active au sein de la société
guadeloupéenne. Nous sommes si généreux envers le téléthon !

 

Il me semble souhaitable de
croire au développement de la langue et de la culture créoles dans une
perspective non folkloristes mais diplomatique (il existe un monde
créolophone), économique et culturel.

 

Il me semble enfin souhaitable
que nos élus aillent se former non pas seulement à Paris mais aussi dans la
Caraïbe. Ils connaîtraient mieux le fonctionnement des pays indépendants ou
néo-colonisés. Ils seraient plus au fait des données de la diplomatie. Ils
gagneraient en relations internationales. Ils créeraient d’utiles solidarités.

 

Mais tout cela n’est rien si nous
ne répondons pas à la question suivante : quelle Guadeloupe voulons-nous ?
Autrement dit avec quelles valeurs? Quel mode de fonctionnement ? Quel type de
citoyens ? Quel système économique ? Quel budget ?

 

Ce sont des questions qui sont
loin de l’élection d’Obama. Ce sont des questions auxquelles tout chef
politique doit répondre de façon claire. La méfiance des Guadeloupéens envers
les élus, parfois leur inertie apparente, résulte sans doute d’un manque de
clarté, d’un manque de pédagogie, d’un manque de vouloir.

 

Je répète avec Obama l’histoire
retiendra notre capacité à construire et non notre capacité à détruire !

 

Crier que nous sommes des
petits-fils d’esclaves ne suffit pas !

Détester, singer ou vénérer la
France, n’est pas une politique !

Croire que l’on peut construire
sur des ruines est une erreur !

 

Seront nous capables de dire,
nous aussi : YES WE CAN ! C’est cela la leçon, la grande leçon d’Obama !

 

Ernest Pépin

 

Lamentin le 21  janvier 2009

 

PS : Je ne suis pas un
spécialiste et mes idées n’engagent que moi. Je ne les livre que pour lancer un
débat que je crois nécessaire et salutaire.