La Martinique dispose sur 7ans (2007-2013) de 417 millions d’Euros de FEDER pour réaliser 1, 1 milliard d’investissements (infrastructures lourdes (routes, port, aéroport par ex.), aides aux entreprises, à l’éducation, à la recherche et à l’innovation, etc….)
Fin 2009, à peine 50 à 60 millions d’euros d’investissements avaient été réalisés sur 1,1 milliard au total sur les 7 ans. Pour éviter de rendre les crédits européens, il faudrait justifier plus de 400 Millions d’euros d’investissements au 31 décembre 2010, ce qui impliquerait d’investir un à deux millions d’euros par jour d’ici la fin de l’année. Ce qui impliquerait que des projets soient déjà lancés pour correspondre à ces valeurs … Or, le retard de programmation est déjà considérable.
Face à ce naufrage annoncé, les gestionnaires des fonds (Etat, Région et Département) disposent d’un discours bien rodé composé des mêmes explications depuis des années. Il s’avère cependant qu’aucune de ces explications n’est probante :
– l’insuffisance des taux d’aide de l’Europe expliquerait les dysfonctionnements. Soit, mais primo, ces taux autorisés par l’Europe sont en augmentation constante et permettent tthéoriquement aujourd’hui d’aider jusqu’à 70% les entreprises et 85% les bénéficiaires publics…,secundo, les crédits européens étaient consommés naguère malgré des taux plus faibles, tertio, les taux réels fixés localement sont en diminution constante (50% en 1994 ; 35% aujourd’hui).
– les difficultés d’accès aux fonds structurels expliqueraient les dysfonctionnements. Soit, mais les règles d’emploi des fonds sont pour une part fixées au plan national et au plan local, et non au plan européen. Et comment expliquer que le secrétaire d’Etat à l’aménagement du territoire, Hubert Falco, doive rappeler aux différents services l’existence des circulaires de 2002 de simplification des procédures de mobilisation des fonds européens, ces circulaires ayant été « oubliées » ?
– l’insuffisance des montants de FEDER alloués à la Martinique expliquerait les dysfonctionnements. Soit, sauf que les montants ont doublé en moyenne annuelle depuis 1994, passant de 32 Millions d’Ecus par an (1994-1999) à 59 Millions d’Euros par an (2007-2013), malgré l’élargissement de l’Union européenne de 12 à 27 Etats !
– la superposition des programmes financiers européens 2000-2006 (qui s’est en fait terminé en 2009) et 2007-2013 (qui n’a en fait commencé qu’en 2008) expliquerait les dysfonctionnements. Soit, cet argument est sérieux, mais il renvoie néanmoins d’une part à la gestion même du programme décidée par l’Etat, la Région et le Département et aux moyens affectés à cette gestion, et d’autre part aux dysfonctionnement antérieurs, car le programme 2000-2006 présentait déjà les mêmes problèmes que l’actuel programme européen 2007-2013 !
A ces excuses anciennes, on peut ajouter des causes nouvelles, toujours aussi peu probantes :
– la crise financière et la crise sociale de février-mars 2009 expliqueraient une partie des dysfonctionnements. Soit, mais comment alors expliquer que la Réunion, la Guyane et même la Guadeloupe semblent consommer les fonds européens à des taux plus élevés qu’en Martinique ?
– Les difficultés financières des collectivités territoriales expliqueraient une partie des dysfonctionnements. Soit, mais elles ne sont pas toutes en difficulté et qu’en est-il dans les autres régions et aux autres époques ?
Il semble que les vraies raisons sont ailleurs et ont trait plutôt à la gouvernance de la Martinique que les dysfonctionnements des programmes financiers européens révèlent.
Il conviendrait d’abord de restaurer d’une manière ou d’une autre la responsabilité de la gestion du programme. Les autorités d’Etat chargées de la gestion sont nommées pour de courte durée correspondant au tiers ou à la moitié d’un programme européen. Ou bien, les autorités de gestion sont nommées pour des durées compatibles avec les programmes européens ; ou bien d’autres solutions doivent être envisagées : par exemple, le transfert de la gestion des fonds à la nouvelle collectivité.
Il convient ensuite d’arrêter de laisser les programmes européens en pilotage automatique, non pas sur la base d’objectifs (investissements, emplois, éducation, formation, prévention des risques, etc.) mais sur la base d’indicateurs de consommation des crédits. Il faut un vrai consensus politique sur les objectifs.
La restauration de la responsabilité et du pilotage implique également de revoir et d’adapter l’organisation des services en région et la « culture » administrative, afin que les services et leurs chefs se mobilisent personnellement sur ces questions européennes et ne les « sous-traitent »pas aux petites mains de l’administration qui trop souvent pour reprendre le Général De Gaulle « faute d’embrasser les ensembles, cultivent les détails et se nourrissent de formalités » et obligent M. Hubert Falco à rappeler les règles créées en 2002 pour résoudre, déjà, des problèmes identiques de manque de dynamisme de la gestion des programmes financiers européens.
Partant de cette mise à jour, et sans rentrer dans le détail, il faut reconsidérer un certain nombre de techniques dont il faut réévaluer l’effet sur la faible consommation des crédits : le « guichet ouvert » ; le « fléchage » qui gèle les crédits ; le « saucissonnage » des crédits dispersés entre plusieurs services où chacun se partageant ou vivant de l’enveloppe qui lui a été affectée et, de plus, chacun employant la méthode la plus traditionnelle décrite par Albert Camus dans la Peste, c’est-à-dire le renvoi de l’usager d’un bureau à l’autre ; l’absence de plancher de coût total, qui va conduire en pratique les services instructeurs et/ou gestionnaires à mobiliser 80% de leur temps/agent pour à peine 20% des crédits européens. En outre, Chacun se réclamant plus compétent que l’autre sur un morceau du « saucisson » tandis qu’aucun ne possède la disponibilité financière suffisante pour financer un projet innovant d’envergure.
Il faut enfin faire la lumière sur les raisons qui ont conduit en 2007-2013 les autorités à déterminer des taux d’aide européenne incroyablement bas et en contradiction avec la lettre et l’esprit des fonds européens qui subventionnent fortement la Martinique et les autres régions ultra périphériques du fait des handicaps liés à l’éloignement et à l’insularité ainsi que d’une situation de fort chômage. En effet, comment comprendre que, malgré la stratégie de Lisbonne, les projets de développement économique, d’innovation et de recherche ne bénéficient même pas de 40% de subventions du FEDER ? Et que dire, après la Stratégie européenne de Goteborg et compte tenu l’importance incroyable des risques naturels dans nos régions, du fait que les projets de gestion de l’environnement ne bénéficient que de 27% de subvention FEDER ? On est loin des 85% prévus par les textes…. Européens. A qui profitent ces bocages récurrents ? Aux services de l’Etat qui ont de moins en moins de moyens venant de Paris pour leur propre fonctionnement ou au Conseil Régional ? Peut-être aux deux.
Fred CELIMENE(Professeur, Université des Antilles et de la Guyane)