Par Mike Irasque.
Qui êtes-vous Alex Ursulet ?
« Partout où il y a une ‘machine’ contre un homme, je suis du côté de l’homme »
En juillet dernier, un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) condamnait la France, suite à des violences infligées à un homme – onze ans plus tôt – par des agents relevant de l’autorité publique. L’avocat de la victime s’appelle Alex Ursulet. Dans notre espace martiniquais, ce prénom et nom ont d’abord été associés au RPR, à Bernard Pons, Jacques Chirac (dans les années 80-90) , puis à Garcin Malsa et Alfred Marie-Jeanne. Une « évolution » qui interpelle, non ? A la faveur de cette récente victoire, nous avons voulu en savoir plus sur l’homme et son parcours. Mais qui êtes-vous Alex Ursulet ?
« J’ai d’abord une conscience politique par inculcation, par injonction paternelle ou familiale », répond Alex Ursulet quand nous l’interrogeons sur l’éclosion de ses convictions, « c’est le gaullisme, le général de Gaulle, mais sans plus. Mon père faisait de la politique, il a été le suppléant de Léon-Laurent Valère contre Aimé Césaire, quand j’étais petit j’ai suivi des conférences politiques ; j’avais donc une petite conscience (sourire). » Après ses études de Droit, le jeune homme devient avocat puis entre au cabinet de François Gibault, célèbre pénaliste français. Une formation professionnelle durant laquelle Gibault dit à Alex Ursulet que « ce qui compte c’est de se lever quand il y a une injustice ». Un propos qui peut faire sourire quand on sait que Gibault défendit, entre autres clients, des membres de l’OAS (Organisation Armée Secrète, ndr) et un certain Jean-Bedel Bokassa, autoproclamé « empereur de Centrafrique ». « Gibault avait un peu l’image d’un type de droite dure », reconnaît Alex Ursulet, « mais en fait c’est un anarchiste ». L’« anarchiste » était un militaire (durant la Guerre d’Algérie) ; ce seront donc quatre années de formation pénale « dure », indique notre interlocuteur. Pendant un an Gibault l’« oblige » à ne pas plaider. Le jeune avocat l’accompagne aux Assises ; il doit écouter, apprendre. Alex Ursulet rencontre alors celle qui deviendra son épouse et qui est également avocate, Frédérique Pons, l’une des filles de Bernard Pons. A l’époque secrétaire général du RPR, ce dernier est déjà l’un des proches de Jacques Chirac, et Alex Ursulet se retrouve au cœur de la conquête du pouvoir par Chirac (nous sommes alors dans les années 1984-85) qui deviendra 1er ministre un an plus tard. Bernard Pons, qui apprécie son futur gendre, l’introduit au sein de l’équipe de Chirac et l’homme assiste, entre autres, à la formation du gouvernement, aux stratégies, négociations, etc. « C’était aussi une formation », glisse-t-il dans un sourire. A l’époque plusieurs se demandent – la relation amoureuse entre Alex Ursulet et Frédérique Pons étant volontairement discrète au début – qui est « ce noir qui est toujours là ». « C’est qui ? C’est le chauffeur ? Le garde du corps ? », se souvient Alex Ursulet amusé. Deux années s’écoulent, durant lesquelles le jeune homme sera conseiller de Bernard Pons : il écrit des discours, fait valoir ses opinions, donne conseil.
Le soldat de la « Chiraquie »
1988 : Chirac perd la Présidentielle, Alex Ursulet a quitté le cabinet de François Gibault et en a constitué un avec son épouse, Frédérique Pons. Afin de renouveler et dynamiser (d’aucuns diraient dynamiter) le « RPR Martinique », Alex Ursulet constitue, avec le « shérif » du Marigot, Michel Renard, une liste « dissidente » de celle du RPR. C’est l’ordre de mission qui lui est donné par le « national », qui le soutient en coulisses. La liste Ursulet-Renard (« alliance de l’expérience et de la jeunesse ») obtient quatre élus aux Régionales de 1990, Alex Ursulet devenant le plus jeune conseiller régional de France, à l’âge de 29 ans. 1993 : Edouard Balladur est 1er ministre et certaines figures de la « Chiraquie », dont Bernard Pons, pressentent que l’homme sera candidat à l’élection présidentielle de 1995. Le « soldat Ursulet » est de nouveau réquisitionné. Nommé « patron » du RPR en Martinique, son nouvel ordre de mission est de « verrouiller l’outremer » pour Jacques Chirac, dans la perspective de cette échéance majeure. Parmi les anecdotes (savoureuses) que nous raconta Alex Ursulet à propos de cette époque, le fait pour notre interlocuteur d’avoir systématiquement fait baliser tous les parcours d’Edouard Balladur, alors en visite en Martinique, d’affiches célébrant « l’histoire d’amour » entre Jacques Chirac et notre pays. Sans avoir oublié de faire tapisser le siège du RPR de ces mêmes affiches. A écouter Alex Ursulet, ce fut là un très agréable séjour pour Edouard Balladur…
Arrêt de la politique et retour à la robe
« Pendant cette campagne, je vais voir et entendre des choses que je n’ai pas envie de voir et d’entendre, ni au niveau national ni au niveau local », indique alors notre interlocuteur, « je pars le soir de la victoire de Chirac aux présidentielles de 1995. » Et Alex Ursulet d’ajouter avoir successivement refusé un poste de sénateur, de « conseiller outremer », de conseiller à la Justice, etc. Nous sommes alors en 1995 et cela fait presque cinq ans qu’il n’a pas plaidé ; l’homme a donc très envie de retrouver sa robe et profession d’avocat pénaliste. « Il fallait savoir résister », poursuit-il, « mais je sentais que si je disais ‘oui’ à leurs propositions, c’en était fini de mon métier. Car je me souviens d’une conversation que j’avais eu avec Camille Darsières à cette époque-là ; il m’avait dit qu’on ne pouvait pas faire les deux – de la politique et être pénaliste – et me disait ses regrets d’avoir un peu abandonné son métier. Alors qu’à mes yeux il était le meilleur avocat martiniquais, et qu’il aurait pu être l’un des dix premiers avocats à l’échelle de la France. Car il avait un talent hors du commun. » Et un certain Jacques Vergès d’apparaître…
Partenariat et déception…
Apprenant qu’Alex Ursulet a « retrouvé la robe », Vergès entre en contact avec lui et ils s’impliquent dans un premier dossier. C’est un succès, et Jacques Vergès lui demande de s’associer avec lui (ce qu’il n’avait jamais fait », précise Alex Ursulet). Vergès est sulfureux, manipulateur ; Ursulet le sait, mais il est aussi conscient, comme beaucoup, que « le chinois » est l’un des plus talentueux pénalistes du 20ème siècle. Il accepte. Cependant, l’une des raisons de cette demande de partenariat est que le neveu de Jacques Vergès (et fils du leader communiste Paul Vergès) est mis en cause dans une affaire de corruption à la Réunion, et que le célébrissime avocat a manifestement besoin d’Alex Ursulet. Celui-ci accepte de s’engager dans ce dossier, et les deux hommes partent pour la Réunion. Un séjour qui laissera des traces dans la relation entre les associés, car une plaidoirie, décrite comme décisive par son auteur (Alex Ursulet) écorchera l’ego – que l’on suppose fort conséquent – de Jacques Vergès. Et ce d’autant que cette plaidoirie vaudra à l’avocat martiniquais les gros titres et autres « Une » de la presse réunionnaise, au lendemain de l’audience. Une déception d’Alex Ursulet viendra, nous dit-il, entériner sa rupture avec Jacques Vergès. Surmené, épuisé, aux portes de l’infarctus, Alex Ursulet doit être hospitalisé d’urgence, à Paris, et reste alité plusieurs jours. « Mes parents sont venus me voir de la Martinique, des amis sont venus de pays européens ; bien que vivant à Paris, Vergès n’est jamais venu », indique-t-il presque grave. Après sa sortie de l’hôpital, Alex Ursulet vient annoncer à Jacques Vergès qu’il met un terme à cette association et s’est désormais établi ailleurs, dans son cabinet à lui.
« Que mes détracteurs en fassent la moitié… »
« Vergès, et je le dis dans le livre qui sort bientôt (« L’Indéfendable », ndr) m’a appris une chose », poursuit notre interlocuteur, « ce que je ne voulais pas faire, pas devenir, les limites de l’ego. Ce qui explique que je sois parti. Parce que je n’avais plus rien à faire là, j’avais décidé de me construire tout seul. A propos de Jacques Vergès il faudrait d’ailleurs créer un mot nouveau, ‘ego’ n’est pas assez fort (sourire) ; j’ai été confronté à cette réalité au quotidien et je me suis dit que jamais je ne céderai à cela. Je défends quelqu’un, je ne me défends pas ; il y a une distance entre la personne que je défends et moi. Vergès, lui, se défendait en toute circonstance ; c’était lui, lui d’abord, lui avant tout. » Mais un certain nombre de personnes – vos détracteurs inclus – donnent de vous l’image d’un homme à l’ego disons « conséquent », très sûr de lui, l’image d’un « préleur » arrogant, non ? « Oui, depuis tout petit, depuis l’école », plaisante Alex Ursulet, avant de reprendre son sérieux, « mais qu’y puis-je ? ». Et je suppose que ce n’est pas de l’arrogance mais une grande confiance en vous ? Après un léger silence, l’homme semble devenir grave. « Ce que j’ai fait dans ma vie, que mes détracteurs fassent la moitié et on en reparle », décoche-t-il d’une voix pourtant douce (un propos qui devrait pérenniser l’affection que ses détracteurs lui portent). Et d’ajouter : « Qu’ils aillent en 1990 en Lybie, sous embargo, demander l’inculpation de Kadhafi. Qu’ils aillent au Sénégal, sous Abdoulaye Wade, dénoncer la détention de son 1er ministre, Idrissa Seck. Dénoncer Wade, provoquer Wade ; qu’ils le fassent. Qu’ils affrontent 15 parties civiles et toute l’opinion publique française à défendre Guy Georges, seul(s) contre tous ; qu’ils le fassent. Et on en reparle après. »
La « machine » contre l’homme…
Une évocation du passé qui fait naître cet hommage à un père plus qu’aimé, admiré : le bâtonnier Emmanuel Ursulet, décédé en janvier 2014. « Aujourd’hui je sais que j’ai fait tout cela pour lui plaire ou l’impressionner », glisse Alex Ursulet, « et maintenant qu’il n’est plus là, c’est vrai que le jeu me semble un peu moins excitant. Car ce qui comptait d’abord, c’était d’obtenir son acquiescement, voire sa désapprobation. » Il poursuit : « Je savais ce qu’il m’avait transmis et j’ai voulu le lui rendre, mais des décennies après et dans d’autres circonstances qu’en Martinique. C’est pour cela que je lui ai demandé de venir plaider avec moi à la Réunion, en Haïti, à Miami, etc. Ma vie professionnelle est nette et claire : il y le pénal général – les assassins, les violeurs, etc. –, le pénal politique – le 1er ministre du Sénégal, celui du Vanuatu, le LKP, Alfred Marie-Jeanne, etc. – mais c’est une seule et même ligne. Partout où il y a une « machine » contre un homme, je suis du côté de l’homme. » Et pourquoi cela ?, demandons-nous. Influence paternelle ? « Oui, c’est une nature et une éducation », répond Alex Ursulet, « mon père m’a transmis cela. » Et l’homme de lancer cette phrase, que ses détracteurs adoreront : « Dans ces cas là je ne pense pas être bon, je pense être le meilleur », avant d’ajouter : « et même dans des ‘petits’ cas de correctionnelle, où le Parquet, le procureur, sont excessifs dans les peines requises contre l’accusé(e). »
Guy Georges, « l’incarnation du Mal »…
Une part importante de la notoriété, notamment médiatique, d’Alex Ursulet en France résulte du fait qu’il fut l’avocat (avec Frédérique Pons) de l’un des plus célèbres et terrifiants tueurs en série français : Guy-Georges, « le tueur de l’est parisien », assassin et violeur de sept femmes, « celui qui a donné des leçons à l’Enfer » dixit l’avocate générale lors du procès. Guy Georges : était-ce un « homme seul contre la machine » ?, lançons-nous. « Mais il est d’entrée de jeu seul contre la machine », affirme notre interlocuteur, « il s’appelle Guy Georges Rampillon ; sa mère est blanche, son père noir-américain. Sa mère part à la recherche de son père et le dépose à la DDASS, qui lui ‘coupera’ son nom en mettant Guy comme prénom et Georges comme nom. A partir de ce moment là le mal est fait ; ce n’est que le début de la chronique annoncée d’un drame. »
« Mamadou t’as pas cent balles ? »
« J’ai toujours été conscient du privilège que j’avais d’être à la fois dans et contre le système », reconnaît Alex Ursulet, « j’ai eu une chance incroyable dans ma vie, mais la ligne directrice a toujours été la dimension discriminatoire. Elle ne passe pas. D’où qu’elle vienne. Quand j’étais le patron du RPR en Martinique et que les types venaient ici, j’imposais une discipline : ce n’étaient pas eux qui devaient nous dire ce qu’on devait penser. Ou qu’un type dise n’importe quoi au ‘motif’ qu’il est blanc. Non. » Avez-vous fait l’expérience du racisme hors de Martinique ? Après un léger silence, l’homme raconte. « A l’époque je suis très intégré (sourire) – ce mot horrible –, je suis marié à la fille d’un ministre (Frédérique Pons, ndr), je suis avocat à Paris, j’habite dans le 16ème, donc je me sens intégré, je suis heureux, je suis français (sourire), à la boulangerie on me dit ‘bonsoir maître’, etc. Un jour, je tiens ma femme par la main dans la rue et un SDF (« sans domicile fixe », ndr), allongé par terre me regarde et sourit. Je lui souris et là il me dit : ‘Mamadou t’as pas cent balles ?’ J’ai éclaté de rire et je l’ai surtout remercié – mentalement – de m’avoir ramené à la réalité. » Vous l’aviez quittée ?, demandons-nous. « Pas quitté mais je l’avais escamotée, parce que c’était confortable », reconnaît Alex Ursulet, qui retrouve vite son ironie (qui n’est de toute façon jamais bien loin) : « Mamadou, cette interpellation par mon vrai prénom en plus ! (sourire). Je me suis dit ‘mais comment sait-il ? Ce type est trop puissant !’ Il était le seul à avoir deviné ! (rire). »
« Pourquoi me tutoyez-vous ? »
« Et puis il y a, bien-sûr, ce qui m’est arrivé avec les policiers », dit Alex Ursulet l’air grave, « sept ans de procédures… . » Bref rappel des faits. Nous sommes en 2005 ; l’homme circule dans Paris, sur son scooter, et il est interpellé par trois fonctionnaires de police. L’un d’entre eux aurait fait dans le tutoiement spontané et familier – une attitude qui donnera naissance, parmi d’autres raisons, à un livre écrit par Alex Ursulet, intitulé « Pourquoi me tutoyez-vous ? ». Interrogeant le fichier national, les policiers découvrent que l’immatriculation du scooter correspond à un autre véhicule. Alex Ursulet sera menotté, notamment à un radiateur dira-t-il, ajoutant avoir été humilié par certains propos des policiers ; il est placé quelques heures en garde à vue. L’homme porte plainte contre ces policiers, pour « arrestation et séquestration arbitraire, violences, discrimination et injures ». En 2006, le Parquet ouvre deux informations judiciaires : l’une contre les policiers, l’autre contre l’avocat, pour « usage de fausse plaque » (l’enquête avait pourtant rapidement indiqué une erreur du garagiste responsable de la pose de la plaque, ndr). Alex Ursulet est finalement relaxé par le tribunal correctionnel de Paris, en janvier 2012. Soit sept ans de procédures. « Le Conseil général a pris position, dans une motion dénonçant le racisme qui me frappait », poursuit-il, « Darsières m’a appelé, Garcin Malsa, Alfred Marie-Jeanne, mais pas un type de droite (sourire). Je pense que cette expérience avec les policiers a joué inconsciemment ; ça a musclé les choses. Ce qui fait que quand je défendrai Abdelkader Ghédir, je vais m’y employer presque comme un forcené, pendant dix ans… . » Un nouveau rappel s’impose.
« Incapacité partielle permanente » à 95%…
Mars 2004, deux policiers se rendent à la gare de Mitry-Villeparisis (Seine-et-Marne) car on a signale qu’un individu jette des cailloux sur les trains. Arrivés sur les lieux ils voient un jeune homme, Abdelkader Ghédir, 21 ans à l’époque, qui aurait semblé ivre et agressif à leur endroit. Les deux policiers appellent du renfort, et arrivent cinq agents du SUGE, le « Service de surveillance générale » de la SNCF. Les agents du SUGE interpellent Abdelkader Ghédir, sans opposition, mais des policiers qualifieront néanmoins l’interpellation de « musclée », affirmant avoir vu un agent du SUGE porter un coup de genou à Abdelkader Ghédir au niveau du visage, alors que ce dernier était au sol, maintenu par deux autres agents et menotté dans le dos. Lors de son transport vers le commissariat, l’interpellé se plaint de nausées. Il présente une plaie au menton, qui saigne abondamment. Arrivé dans les locaux de garde à vue, Abdelkader Ghédir tombe dans le coma. Peu après, il est placé en garde à vue pour « outrage à agent de la force publique et violences volontaires sur agent chargé d’une mission de service public ». Finalement, son « taux séquellaire d’incapacité partielle permanente » (IPP) sera estimé à 95%. Aldelkader Ghédir n’ayant plus aucune autonomie pour les gestes élémentaires de la vie quotidienne, il est depuis en fauteuil. Les agents du SUGE sont mis en examen en décembre 2004. Le 15 février 2010, la juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance de Meaux rend une ordonnance de non-lieu ; le 27 septembre 2011, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’Abdelkader Ghédir.
Et la France fut condamnée…
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » : cet article 3 de la « Convention européenne des droits de l’Homme » a donc été violé, au regard de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) dans son arrêt du 16 juillet dernier, condamnant ainsi la France. La CEDH avait été saisie par Alex Ursulet et son confrère du barreau de Strasbourg, Me Grégory Thuan dit Dieudonné. Onze ans après les faits, la CEDH indique dans son arrêt que même dans les circonstances les plus difficiles, la Convention « prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Et concernant les violences survenues lors de contrôles d’identité ou d’interpellations opérées par des agents de police, la CEDH rappelle que « le recours à la force doit être proportionné et nécessaire au vu des circonstances. » La CEDH a estimé, en outre, qu’un « faisceau d’indices suffisant » permettait de conclure qu’Abdelkader Ghédir avait subi des mauvais traitements lors de son interpellation, et que les autorités françaises ne lui avaient pas fourni (à la CEDH) « d’explication satisfaisante et convaincante à l’origine des lésions du requérant ».
« La consécration d’un combat »
« La CEDH juge les états européens et leur impose une législation harmonisée », explique Alex Ursulet, « c’est donc une décision de référence, qui va entraîner désormais, chez les magistrats français, qu’on doit faire référence à cet arrêt là. Dans la vie d’un avocat c’est énorme, et j’ai vécu ça comme la consécration d’un combat. Quand j’allais devant les juges français, je leur disais ‘ce type est dans un fauteuil roulant et vous dites qu’il ne s’est rien passé ?’ Vous avez le rapport d’expertise, qui montre bien que c’est le coup de genou dans la tête qui lui a fait ça, et vous dites qu’il ne s’est rien passé ? Vous allez vous faire condamner par l’Europe !’ Et ça pendant dix ans ! » Et pourquoi une procédure aussi longue ? « La lâcheté du système », tranche notre interlocuteur, « en France l’histoire coloniale gêne, avec cette culpabilité qui n’a pas été réglée. Ils portent en eux quelque chose de lourd, donc c’est ‘allez allez, on ne veut pas entendre ça, Me Ursulet arrêtez.’ Abdelkader Ghédir était-il en fauteuil avant que la police et les agents n’arrivent ? Non. Depuis il est en fauteuil. J’ai dit aux juges ‘soyez courageux, arrêtez ça.’ Et ils m’ont regardé du genre ‘mais ça va pas non ? Vous voulez qu’on brise nos carrières ou quoi ?’. C’est lourd de conséquences, mais ça les rattrape. ‘On est toujours rattrapés par ses actes’ m’avait dit mon père (sourire). »
« J’aurais dit un mot ou fait un geste de plus… »
Répondant à l’une de nos questions, Alex Ursulet confirme avoir reçu des menaces de mort au cours de sa carrière. Et vécu des situations où votre vie était en danger ? « Au Vanuatu, au Sénégal, en Lybie, ça aurait pu se terminer très mal », indique-t-il, « quand j’ai ma robe, c’est comme une protection, presque une armure ; sans la robe je me sens désarmé. » Et d’ajouter : « Mais aujourd’hui, avec l’expérience, ce serait à refaire il y a des choses que je ne referai pas. Je pense que c’était lié à un sentiment de toute-puissance liée à la jeunesse, une forme de folie à vouloir transgresser la norme et aller au cœur du feu. Aujourd’hui je m’y prendrais différemment. » Avez-vous vécu des situations où la mort était toute proche ? « Oui, deux fois », répond Alex Ursulet. Pouvez-vous nous en parler ? « Non, je ne peux pas », assure-t-il, « c’étaient des situations d’extrême limite, où j’aurais dit un mot ou fait un geste de plus et… A un moment donné tu es en face d’une responsabilité majeure : celle de survivre ou de mourir dans la dignité… sauf que personne ne saura que tu auras été digne jusqu’au bout (rire). Oui, il y a eu des situations où j’ai eu les larmes aux yeux de rage, parce que j’étais seul. Et ce qui m’a souvent sauvé, surtout dans ces situations là, c’est l’humour, le mot d’humour. Je ne dis pas ‘non’ à quelqu’un qui me demande mon concours, qui est dans une situation extrême, mais je sais aujourd’hui ne pas exposer ma vie au pire, pour satisfaire un besoin intime de justice. » Une « sagesse » certainement née de la relation d’Alex Ursulet avec la femme qui partage sa vie depuis une dizaine d’années : la princesse Anne de Bourbon-Siciles. « Ces dix dernières années, Anne a joué un rôle très important », indique-t-il en effet, « je n’aurais jamais fait ce que j’ai fait si elle n’avait été à mes côtés si fortement. Et elle a été là, omniprésente. Elle est ma force en fait, sur laquelle je m’appuie. Anne a une densité ; elle sait capter l’humain. Et elle parle librement. » Bel hommage.
Mike Irasque
17:30
Mike Irasque
Article publié dans le n°1680 de l’hebdomadaire Antilla.