Au début des années 80, le journal d'Hersant avait réussi à repousser les assauts du "Quotidien des Antilles", journal concurrent lancé par des socialistes français sous Mitterand. Non parce qu'il était meilleur ou mieux fait, mais parce qu'il avait le bénéfice de l'antériorité, il était devenu un élément du décor, il était ritualisé. Et puis le monde a changé, la Martinique vote majoritairement à gauche depuis plus de vingt ans. Les journalistes de France-Antilles ont des graines. Le discours identitaire est omniprésent. Mais, pendant ce temps, la télévision diffuse en direct son opium abrutissant. Les élus sont perdus dans leurs délires ou jouent à leur petits jeux d'élus. Des quartiers de Fort-de-France jouent à être Sarcelles. Dans les lycées, il y a des nègres "gothiques". Bata affiche une délicieuse eurasienne sur tous les murs du pays, pour vendre ses chaussures. Stephen Carter écrit : "L'obscure nation a honte d'elle-même, elle continue de souffrir d'une attention démesurée à la couleur de la peau". La question fondamentale est de savoir qui commande dans ce journal : le rédactionnel ou le commercial. La réponse est dans la page de couverture du supplément de la fête des mères, un nouveau crachat jeté à notre visage. Pas grave, nous sommes anesthésiés. Dans les années 60, des nationalistes noirs étasuniens étaient contre l'affirmative action ou discrimination positive parce qu'ils savaient que cette mesure diluerait la revendication identitaire de leur peuple dans l'acculturation au modèle blanc dominant. Nous sommes dedans. Au fond même.
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