Q : Vous voulez donc que le blanc revienne nous exploiter avec le fouet?
Jean-Pierre Bekolo : Le fouet, il est là, regardez la Côte d’Ivoire et la Libye. Le pillage, je n’ai pas besoin de vous faire un dessin, même les chinois s’y mettent ! Ce n’est pas de leur faute, c’est nous qui avons abandonné l’idéologie de l’auto-détermination. Il faut le dire clairement et que cela devienne une véritable politique. Il ne fait aucun doute que l’Afrique en général et le Cameroun en particulier 52 ans après l’indépendance a fini par accepter, intégrer et épouser certaines dimensions du projet colonial qu’il rejetait en bloc. Le projet colonial a fini par aboutir bien au-delà des prévisions de ses initiateurs sauf qu’entre temps, pour des raisons idéologiques (il ne faisait plus bon d’être colons) le pilote a quitté l’avion. Aujourd’hui un pilote médiocre a pris le relai sans véritable plan de vol. Il se contente de flatter son égo en faisant croire qu’il maîtrise l’avion, pourtant tout le monde sait qu’il est un pilote fantoche qui a pour unique objectif l’utilisation des ressources collectives pour un enrichissement personnel. Voilà comment cette élite aux commandes organise le pillage de leur propre pays au bénéfice de l’ancien colon qui n’a rien demandé. Il s’agit de retourner là où les choses ont mal tourné, d’où est parti le mensonge et l’hypocrisie ; c’est-à-dire à la soit-dite indépendance !
Si on se débarrasse de ses dimensions négatives que sont l’exploitation et l’oppression, le projet de recolonisation a des chances sérieuses de trouver un accueil favorable des populations qui n’en peuvent plus ! Et même quand il s’agit de la préservation de notre culture, ce sont encore les blancs qui s’en préoccupent le plus ! Nos artistes africains et notre art est plus financé et promu par les mêmes occidentaux pendant que nous, nous ne rêvons que de pacotilles chinoises, de voitures « congelées » et de toutes ces « choses des blancs » ; rien de différent depuis la traite négrière ! Disons merci à Jacques Chirac d’avoir créé le Musée du Quai Branly. Au moins notre patrimoine est préservé dans de bonnes conditions !
Q : Vous vouez un culte au blanc ?
Jean-Pierre Bekolo : Ce n’est pas moi, ce sont les africains et les camerounais et aujourd’hui nous faisons le constat ; il faut respecter cette volonté du peuple. Faites l’expérience, allez dans un service publique avec un blanc, vous allez voir comment en 2012 on se comporte au Cameroun en face d’un blanc. Combien de personne vont chercher des blancs fantoches juste pour être pris au sérieux dans leur business? Tant qu’à aller chercher les blancs, appelons les meilleurs ! Nous sommes ici dans le diagnostic ! Le temps est à la lucidité, où en sommes-nous aujourd’hui ? Voilà la question !
Le blanc n’est peut-être plus là physiquement mais nous nous sommes arrangés à ne garder que la dimension pillage et oppression. Le système en place n’a pas su préserver les quelques acquis positifs du colonialisme. L’élite actuelle est orgueilleuse de cette Etat « Gomna » omnipotent qu’ils n’ont pas créé et qui avait pour but d’opprimer et d’exploiter. Il est désormais l’outils de l’exploitation du camerounais par le camerounais, alors que chez ceux même qui l’ont créé, c’est un appareil au service du peuple. Voilà comment l’élite actuelle maintient les camerounais à l’âge de la pierre taillée pour quelques subsides de la corruption.
Une élite qui est bien contente d’avoir remplacé le blanc, non pas pour servir leurs frères mais plutôt pour les assujettir et les exploiter. Ils conçoivent le pays comme un gâteau et non pas comme une plantation où tous les bras sont les bienvenus. Cette élite qui elle-même doit tout au blanc ; les diplômes dont ils se prévalent, les postes de responsabilités de la république qui leur sert de moyens d’enrichissement, même les voitures dans lesquels ils se pavanent, les costumes qu’ils portent, leurs enfants à l’étranger etc… Même le président de la république est une fabrication des blancs ! Et c’est du blanc qu’il tire tout son charisme par un mimétisme dont il se vante. Ne dit-on pas que notre président est un « blanc » ! Il impose un comportement de « blanc » à son entourage et donc à cette élite. L’Afrique et ses traditions sont rares dans l’appareil d’Etat sauf ces groupes de danses traditionnelles invitées à l’aéroport lors des voyages présidentiels, folklore qui date de l’époque coloniale organisé pour accueillir les envoyés du Général de Gaulle.
Q : Vous voulez dire que l’Africain est incapable ?
Jean-Pierre Bekolo : Soyons francs, qu’est-ce qui marche bien ici ? Pourquoi avons-nous besoin d’infliger à notre peuple autant de douleur ? Juste par égo, pour dire nous dirigeons-nous même notre propre pays ? Vous savez dans la vie, il y a des choses qui peuvent vous dépasser. Et il n’y a pas de honte à le reconnaître. Créer un Etat moderne, démocratique qui satisfait à un nombre de besoins pour les citoyens nous a dépassé. Personne ne peut dire le contraire. Il est temps d’arrêter l’hypocrisie et d’avancer. N’oublions pas une chose, nous n’avons pas créé nos pays. Le Cameroun est une création occidentale depuis son territoire, jusqu’aux lois et même les villes Yaoundé, Douala sont des créations occidentales. Même notre nom : Cameroun n’est pas de nous. Ce sont les blancs qui nous l’ont donné « crevettes » camaroes et nous sommes très fiers de le porter. Comment espérons-nous nous en sortir alors que nous vivons dans une matrice coloniale vidée de son contenu car ceux qui en possèdent la maîtrise et qui sont à l’origine même de la création de notre Etat n’y sont plus associés?
Q : Vous dites que la recolonisation fait partie de la mondialisation alors ?
Jean-Pierre Bekolo : Aujourd’hui l’idéologie d’auto-détermination n’a plus sa place dans une économie de marché dirigée par les capitaux « mondialisés » détenteur du véritable pouvoir sur les Etats. Quel Etat est aujourd’hui en mesure de se prévaloir d’avoir une entière maîtrise des rennes de son économie à l’ère des multinationales ? Cette idéologie d’auto-détermination n’est plus qu’une arme politique qui sert de bouclier à une élite dirigeante corrompue face aux occidentaux, emprisonnant ainsi idéologiquement un peuple qui lui demeure pauvre alors que celle-ci s’enrichit personnellement à son détriment.
Il s’agit donc pour le Cameroun de sortir de la duplicité et de l’hypocrisie car aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin des étrangers pour résoudre les nombreux problèmes qui se posent à nous. Il est temps de l’avouer au grand jour et sortir de ce silence qui fait que nous cachons à notre peuple qui n’est pas dupe la véritable implication étrangère, le peuple en a besoin dans tous les secteurs défaillants et il pourra lui aussi fixer les limites de cette implication quand il estimera qu’il a eu ce qu’il voulait.
*Les Blancs : Je pense profondément qu’il n’existe ni blancs ni noirs. Quand je dis blanc, c’est avant tout une représentation mentale. Et il y a des noirs qui correspondent à cette représentation de blanc, comme il y a des blancs qui correspondent à la représentation mentale noire.