Dans l’ouvrage Regards Croisés sur la Dominique et Sainte-Lucie – Ma Caraïbe anglophone, cette inconnue, Arlette Bravo-Prudent analyse la Caraïbe anglophone en général et la Dominique et Sainte-Lucie en particulier.
Pour Arlette Bravo-Prudent, la Caraïbe anglophone, unique et singulière, issue de la rencontre de trois mondes, le sien, l’Europe et l’Afrique, se révèle être le résultat d’une mondialisation primaire. Elle s’est érigée sur une matrice « pluri-identitaire » fusionnant d’abord les vestiges patrimoniaux des Arawaks et des Karibs, puis elle s’est fortifiée des affrontements de la colonisation. Elle s’est aguerrie des souffrances qui accompagnaient les massacres. Elle s’est accommodée à la douleur de l’esclavage. Et elle s’est tout naturellement enrichie des apports hollandais, français, espagnols, anglais, africains.
Ce qui est indéniable, c’est que la Caraïbe sut tirer profit des fédérations anglaises pour organiser son intégration politique. Ces îles « en point-virgule » ont tout digéré de l’Angleterre : sa constitutionnalité, ses méthodes, son organisation, sa démocratie, ses systèmes politiques, sa rationalité, sa langue et même son flegme. Elles se sont abreuvées de sèves anglaises. Plus tard, encadrée par les Britanniques, la Caraïbe anglophone s’exerça à la responsabilité politique, étape après étape, jusqu’à la souveraineté pleine, pour intégrer le cercle protecteur du Commonwealth. Ensuite, il y eut les contributions indiennes, celles des Sikh du Pakistan, installés à Trinidad, plus tard celles des Chinois et des Vietnamiens que l’on croise dans tout l’archipel. Toutes vinrent compléter cette matrice patrimoniale en donnant à ces terres l’indélébile empreinte caribéenne.
Cependant, ces espaces régionaux se heurtèrent aux réalités économiques. Ils eurent du mal à imposer un marché commun, une monnaie unique et un développement harmonieux. Ces échecs, responsables en partie de la pauvreté et du chômage, se présentent comme une plaie qui refuse de se cicatriser. Alors, cette Caraïbe-là se rattache à tout ce qui pourrait « produire du développement », surtout aux regroupements extraterritoriaux, européens, panaméricains et à la Francophonie pour certains. La nouvelle société caribéenne anglophone moderne évolue sur des territoires marqués par des identités et des cultures métissées en perpétuels bouillonnements et portées par cet arc-en-ciel humain.
Cette Caraïbe-là a apprivoisé les sonorités africaines, modulé les mélodies européennes pour les transformer en musique originale, particulière, rythmée et dansante. Très tôt, elle s’est emparée de la littérature pour dépeindre son environnement, mais aussi pour dénoncer, pour exister. Elle adopta le Rastafari, créa le Reggae pour crier son refus de l’ordre établi, imposé par l’autre, par l’Occident. Elle forgea ses propres croyances, empreintes de rites religieux africains et européens. Elle s’inspira des pratiques de recueillement ou d’extériorisation pour explorer aussi des champs artistiques et exprimer des nuances spécifiquement caribéennes.
En fait, en revisitant la région, on s’aperçoit que la Caraïbe, cette inconnue, a levé pudiquement mais définitivement un coin de son voile et qu’elle nous laisse tout voir. Cette Caraïbe anglophone n’est plus cette oubliée énigmatique. Elle a définitivement quitté l’anonymat. Il lui reste alors à user de son génie créateur pour transformer ses terres en « îles ressources » et aller, emportée par son élan, à la rencontre du plein développement, pour tous. Peut-être, alors, faudrait-il que cette Caraïbe s’appropriât les théories du Saint-Lucien Sir Arthur Lewis, prix Nobel d’économie en 1979, pour ses recherches sur le développement. Certainement, cette Caraïbe anglophone devra repenser sa croissance pour concilier tourisme et richesses patrimoniales ! Alors, il lui reviendra le soin de mettre l’homme et la femme au cœur de sa dynamique de développement et porter ainsi toute sa contribution à l’humanité.
* Arlette Bravo-Prudent, Martiniquaise, est titulaire d’un doctorat en civilisation anglophone de la Caraïbe (Paris-Sorbonne). Elle a enseigné à l’Université des Antilles et de la Guyane (Martinique), intégré des collectivités territoriales puis travaillé à l’organisation d’une coopération régionale et internationale de la santé.
* Regards Croisés sur la Dominique et Sainte-Lucie – Ma Caraïbe anglophone, cette inconnue, de Arlette Bravo-Prudent ; préface de Fred Constant ; ISBN 978-2-343-07323-1 ; 159 p. ; L’Harmattan ; Paris ; octobre 2015 ; 17 €.