Mais l’aprézan plus déterminant concerne l’agriculture, singulièrement la banane. Cette production constitue l’épine dorsale de notre étrange économie. Une herbe, fragile, déracinable au moindre coup de vent, qui est à l’origine de l‘infestation de nos sols et des nappes phréatiques, bourrée de pesticides, et dont l’équation commerciale est quasi nulle en ces temps d’exigeantes qualités alimentaires. Les champs se sont couchés et les appels de détresse se multiplient, se font écho pour mieux s’exagérer et réclamer l’aide supplémentaire, la subvention de plus, l’énième secours additionnel. Ces clameurs expertes sont bien compréhensibles car, dit-on, des milliers de personnes dépendent de ce produit. Mais ces milliers de personnes méritent plus de considération que ne leur accordent ceux qui se contentent d’héler à subventions. Ceux qui par là-même reproduisent le cycle infernal de la dépendance qui assiste un produit sans futur, du secours qui perpétue un système pernicieux. Il n’y a pas d’aprézan dans ces compassions-là. A force de répondre à l’urgence on oublie l’essentiel. On oublie surtout ce que toute politique conséquente n’ignore pas : que rien n’est jamais plus urgent que l’essentiel.
C’est au nom de ces milliers emplois, toutes ces désespérances, qu’il faudrait oser l’aprézan décisif : penser, imaginer, se projeter, désirer un futur. Quitte à être massivement subventionnés, quitte à recevoir des tombereaux de secours bienveillants, pourquoi les affecter au seul réamorçage du cycle de la dépendance ? Pourquoi ne pas en faire le souffle d’une renaissance en les affectant à une restructuration déterminante ? Pourquoi ne pas préciser un aprézan à court, à moyen et long terme pour s’éloigner de l’agriculture pesticide pour une agriculture raisonnée, raisonnable, ouvrant à une agriculture totalement biologique ? Pourquoi ne pas définir un aprézan d’apurement des sols et de reconversion qui, en moins de vingt ans, rapprocherait la Martinique de cette fameuse globalité biologique (Martinique bleue, Martinique pure, Terre de régénération et de santé, Terre de nature et de beauté…) que nous ne cessons de proposer depuis une décennie et que d’autres auprès de nous envisagent déjà.
1000 km2 cela peut se saisir, se ressaisir, cela peut se nettoyer, se maîtriser, se soumettre à une volonté claire, une intention globale qui nous ferait renaître et surtout naître au monde.
Aprézan.
Edouard GLISSANT.
Patrick CHAMOISEAU.