« Sans chemises et sans pantalons » la CGT contre Air France !
Compte rendu de l’audience du 26 janvier 2018
Affaire des « chemises déchirées »
Vendredi 26 janvier 2018 a eu lieu l’audience sur citation directe initiée par le syndicat CGT AIR France, ainsi que deux ex-salariés de la société Air France.
Loin d’être un aboutissement dans la très médiatique affaire des « chemises déchirées », cette procédure vient néanmoins s’inscrire dans les tumultes judiciaires opposant le syndicat CGT AIR France et la compagnie aérienne, depuis les évènements du 5 octobre 2015.
Messieurs LHERMITTE et MARTINEZ, salariés d’Air France, avaient directement été mis en cause et condamnés à des peines d’emprisonnement avec sursis en novembre 2016. Les prévenus avaient toutefois fait appel de cette décision et seront dès lors jugés à Paris en mars prochain.
« Un artifice qui consiste à transformer les victimes en prévenus et les prévenus en victime », souligne la compagnie aérienne.
En effet, la question de l’opportunité de ces poursuites, alors que le second volet de la saga de l’affaire des « chemises arrachées » est imminent, peut se poser.
Si Lilia MHISSEN, avocat conseil des plaignants à l’audience de ce vendredi 26 janvier dernier, clame une « violation manifeste du droit de grève » caractérisée par les délits d’entrave et d’immixtion dans un conflit social, les défendeurs voient quant à eux, une manœuvre « indigne » visant à détourner l’ordre judiciaire du problème principal : les actes de violences perpétrés par les plaignants.
C’est dans ce climat électrique que s’est initiée la journée du vendredi 26 janvier 2018.
Les cinq avocats de la défense, Maîtres GIBAULT, ROSSY, URSULET, DE MOUCHERON et BOULANGER, soulèvent tour à tour les « exceptions de nullité », visant à faire tomber les citations directes dont leurs clients faisaient l’objet.
Néanmoins, cette tentative a tourné court puisque suite à délibération après la pose méridienne, le Tribunal a décidé de joindre l’affaire au fond.
S’initie alors une joute intellectuelle très tendue autour du droit de grève et de l’opportunité des poursuites.
La question est la suivante : l’appel à des compagnies de protection et l’intervention des salariés de celles-ci, constituait-elle en l’espèce, une immixtion dans le conflit social qui avait opposé la société Air France à ses salariés le 5 octobre 2015 ?
C’est ce que considèrent les avocates du syndicat CGT Air France, Lilia MHISSEN et Delphine ZOUGHEBI. Ces dernières ont en effet axé leur plaidoirie sur le caractère constitutionnel du droit de grève. Si Maître ZOUGHEBI dénonce la cristallisation de l’inéquité sociale entre l’ouvrier et le patronat, Lilia MHISSEN, qui n’a jamais perdu son sang-froid devant l’attirail défensif qui se présentait à elle, s’appliquera à démontrer qu’aucune limitation au droit de grève ne peut être opposée, sans risquer d’en compromettre le caractère sacré.
Néanmoins, pour les représentants d’Air France, le délit d’entrave au droit de grève n’était en aucun cas caractérisé. Maîtres BOULANGER et DE MOUCHERON soulèvent à ce titre que le dispositif de protection mis en place par la compagnie aérienne ne visait pas à empêcher le rassemblement des grévistes, mais uniquement à garantir le déroulement paisible du Comité Central d’entreprise qui avait lieu le 5 octobre 2015 au siège de la société. Les avocats rappellent d’ailleurs qu’au regard des événements, ces mesures de protection se sont avérées, plus qu’indispensables, salvatrices. En outre, les avocats ont soulevé qu’aucun élément dans la procédure n’avait pu démontrer quelque obstruction au droit de grève que ce soit, mais plutôt, « un envahissement » injustifié au siège social d’Air France. Enfin, les avocats se sont attachés à démontrer une certaine mauvaise foi de la part du syndicat, qui quelques jours précédant les événements, avait « invité la société Air France à prendre des mesures de protection », anticipant des « risques de débordement ».
C’est à l’intervention d’Alex URSULET que le ton va véritablement monter. C’est en effet dans l’indignation que le représentant des quatre agents de protection rapprochée également mis en cause par le syndicat CGT Air France, dénonce le caractère révoltant de la citation directe délivrée contre ses clients. « Trois d’entre eux ont abandonné la profession, vivotant de formation en formation pour se reconstruire ». L’avocat interpelle le Tribunal sur la « terreur » qui s’est emparé du siège de la compagnie aérienne ce jour-là, réduisant ses clients au simple statut de « proies ».
Il condamne par-là, une « confusion des genres tout à fait indigne », visant à ériger, là encore, les coupables en victimes et à priver les victimes de la reconnaissance du supplice qui a été le leur. Le ténor ne se contentera pas de décrédibiliser une procédure qualifiée par lui « d’artificielle », mais alertera, citant directement ses contradictrices, sur la gravité de la situation. Voyant là un « outrage insupportable », il s’attardera à défendre avec ferveur non seulement, comme sa mission l’exige, les intérêts de ses clients, mais surtout, « le courage indéfectible » dont ils ont fait preuve, rendant ainsi aux quatre prévenus, « la dignité qui leur avait été arrachée » par cette citation directe.
Maître URSULET, par un appel ultime à la raison, terminera enfin sa plaidoirie par une habile apostrophe à Jean JAURES, galvanisant ainsi de manière irrévocable cette journée d’audience, : « Jaurès, réveille-toi, ils sont devenus fous ».
Maître GIBAULT, grand célinien devant l’éternelle, avocat de la société LANCRY PROTECTION SECURITE et de deux de ses salariés, souligne quant à lui le caractère absolument inopportun de la mise en cause de ses clients qui « n’étaient jamais apparu dans la procédure auparavant ». Cette audience sur citation directe n’est autre, selon lui, « que la réponse du berger à la bergère », montrant ainsi le caractère manifestement infondé des poursuites et invitant dès lors le tribunal à une relaxe qu’il regarde comme indispensable.
Malgré une maîtrise relative par Maître MHISSEN de l’audience peu orthodoxe qu’implique la citation directe, le parquet, comme les cinq défendeurs, requière la relaxe des mis en cause. Le procureur a fondé sa réflexion sur une interprétation stricte de la loi du 12 juillet 1883 instituant « le délit d’immixtion dans un conflit social », rappelant qu’en l’espèce, le délit ne pouvait être caractérisé en ce que le recrutement des entreprises de sécurité ne visait pas à « empêcher une action syndicale mais à assurer la sécurité » du site, avant de procéder à un raisonnement plus empirique : « heureusement qu’air France a pris de telles mesures, que serait-il arrivé sinon ? ».
Franck RAIMBAULT, quant à lui, représentant de la société Air France était également présent à l’audience. Le porte-parole de la compagnie mise en cause, faisant preuve d’une particulière tolérance, a su témoigner de son intérêt pour une résolution du conflit à chacune de ses interventions, en rappelant néanmoins qu’au regard des éléments factuels de l’affaire, ce conflit ne pourrait en aucune façon se résoudre par une condamnation en responsabilité de la société Air France.
Le Tribunal Correctionnel de Bobigny rendra sa décision le 23 mars 2018.