Lakouzemi- 6 décembre 2008. Cris de coq, cris d’enfants, musique amérindienne, qui se mêlent aux rires dans le pitt Thomassin. Paroles souvenirs de Marcel Manville, paroles de Frantz Fanon, qui se mêlent à la parole de Thierry L’Etang, de Daniel Bookman, De Monchoachi, de B. Pédurand, et d’autres…
Paroles et cris se superposent, se donnent à exister.
Cris des hommes qui hurlent leurs impatiences, impatience face à l’injustice, aux humiliations, aux intimidations, aux discriminations de « ceux qui s’estiment supérieurs » et de ceux qui se croient inférieurs. Cris trop sauvages ou Cris trop humains ? ? Les paroles sauvages ne sont-elles pas la marque la plus élevée d’empreinte d’humanité ? Le laisser-faire n’est-il pas précisément l’absence de conscience ?
Paroles Sauvages retrouvées de Frantz Fanon qui manie la provocation pour assurer la prise de conscience. Car Choquer la conscience conscientise, il faut réveiller « nos consciences (qui) sommeillent comme la Belle au bois dormant ». Mais n’est-ce pas précisément l’objectif du Lakouzémi ?
Mais sauvage par rapport à quoi ? Au politiquement correct, au décidé, au planifié, à l’assimilé, à ceux qui veulent être ce que la société leur commande ? A ceux qui sont dans la soumission et non pas dans la création ? S’il s’agit de la sauvagerie par rapport aux paroles convenues, entendues : oui , il s’agit bien de paroles sauvages.
Paroles engagées.
Mais les paroles sans actes sont des hommes sans couilles, Fanon le savait bien qui disait qu’en Martinique il y a plus de pantalons que d’hommes. Car en rendant hommage à Fanon, notre psychanalyste génial et à Manville, cet homme de loi, tous deux hommes de convictions ; ici on ne parle pas d’intellectuels installés dans leurs fauteuils à écrire en donneurs de leçons et à exhorter d’autres à agir alors qu’eux ont l’extrême bonté de nous faire grâce du fruit de leurs pensées.
Non, on a bien affaire aux hommes, aux vrais, ceux qui en ont dans le pantalon, aurait pu dire Fanon, qui n’hésitent pas face à l’engagement. Ceux qui comme Manville, ont manifesté contre la Guerre d’Indochine et qui ont été confrontés aux forces de police pour défendre leurs convictions, ceux qui sont des militants P.C lorsque militer dans ce parti était une prise de risque, ceux qui se sont engagés dans la guerre d’Algérie auprès du FLNA, ceux qui ont refusé de s’engager auprès de l’armée française comme Daniel Bookman, ceux qui ont compris que la pensée est engagement, qu’elle doit être suivie d’actes, sont en droit de se poser en donneurs de leçons et de devenir des modèles pour notre société martiniquaise et antillaise de manière générale.
On parle d’hommes aux paroles féroces, crues, vraies, sans fards et aux actes héroïques, d’hommes qui se sont clairement positionnés dans l’être et ne se sont pas englués dans le néant de la mauvaise foi des masques blancs et de l’assimilation aliénante des politiques colonialistes puis néo-colonialistes. « Le martiniquais se fait perroquet mais avale l’idéologie du même coup »… Parole tellement actuelle, mais aussi valable pour nos compatriotes de la France hexagonale qui avalent les idéologies ultra-capitalistes à travers des médias aux allures de plus en plus « berlusconiques ».
Paroles d’honneur
On parle d’hommes d’honneur, qui ne cédaient pas à la tentation de la corruption, aux , facilités et aux lâchetés.
Paroles oubliées ?
Mais cependant si peu de reconnaissance pour ces hommes, si peu de place pour eux dans notre Martinique d’aujourd’hui … Pourquoi la Martinique ne veut-elle pas reconnaître ses talents, pourquoi tant de temps pour chérir ses enfants, pourquoi tant de reniements de négations, pourquoi ne pas accueillir les œuvres accomplies, les hommes de valeur, ceux qui font, qui agissent, qui travaillent ?
La masse vit-elle dans la jalousie des hommes de –faire- parce qu’elle vit dans le –paraître- ? Etre ou paraître c’est un peu notre problématique d’aujourd’hui, car, l’explosion aura-t-elle lieu ? Est-il trop tôt encore ?
Est-on prêt à repenser nos schémas mentaux, car un Fanon nous en a dit l’essentiel , sans fard, sans masques, avec des paroles sauvages :
« Le noir qui veut blanchir sa race est aussi malheureux que celui qui prêche la haine du blanc »
« Celui qui adore les nègres est aussi malade que celui qui les exècre »
Est-on prêt à se positionner comme des hommes face à des hommes, avec leur valeur intrinsèque et non à voir l’autre à travers la concentration de la mélanine épidermique ? Dans un sens comme dans l’autre.
Paroles libérées
Est-on prêt à abandonner le -vouloir se confronter-, le vouloir -se mesurer-, le -vouloir égaler-, -dépasser-, parce que l’on est en réalité aliéné ? Est-on prêt à se considérer comme des hommes et non pas comme des hommes noirs ou blancs ? Est-on prêt à ne plus s’excuser d’être blanc ou noir ? De s’accepter tels qu’on est ?
Est-on prêt à ne plus se comparer mais à construire une pensée dé-tachée, une pensée qui n’est pas entachée de complexes, une pensée autonome avec des projets véritablement originaux, dépouillés de confrontations et d’oppositions systématiques. Il s’agit de retrouver nos valeurs propres, d’opérer un recentrage.
« Est-on prêt à ne plus tirer les hommes dans des directions qui les mutilent ? » Nous exhorte Monchoachi.
« Nous voudrions chauffer la carcasse de l’homme ». Nous voudrions la chauffer pour la faire produire, pour la faire construire pour la faire aimer les engagements, respecter les engagés. Est-on prêt à s’abandonner à notre sublime liberté, notre infini pouvoir d’agir ? Est-on prêt à secouer le tapis de nos soumissions ?
Paroles d’hommes blessés
Mais on parle aussi d’hommes d’amertume, d’hommes blessés, -blessés par les injustices qu’ils ont subi, les déceptions, les désillusions. Les grands hommes ne sont-ils pas tous des hommes meurtris, blessés, qui veulent crier, hurler leurs paroles sauvages à la face du monde ?
Cris des hommes qui ont peur, peur de l’autre, de la différence, de leurs interférences, de leurs concurrences, peurs qui se cognent et qui s’entrechoquent . Un peu comme les igneris dont parle Thierry L’Etang, hommes mythiques qui faisaient peur à nos intrépides caraïbes, en fait ces hommes sauvages étaient autant d’ incarnations de leurs peurs. Hommes sans langage ou au langage incompréhensible ?
Est-on prêt à nous mettre à la table de nos peurs et à dîner avec elles ? Est-on prêt à traduire leur langage ?
Est-on prêt à se débarrasser de nos artifices ? Est-on prêt à se respecter et à respecter l’autre dans son altérité ? Est-on prêt à répondre à la question -qui suis-je- pour enfin passer à celle non moins importante : -que dois-je faire ?- Cris qui doivent s’exprimer pour se libérer. Pour exploser il faudrait d’abord imploser.
De la parole sauvage à la parole sage ?
Mais la parole sauvage est aussi hommage à la nature, elle est « parole qui s’enchante de la vie et qui la chante » nous dit Monchoachi, c’est une parole, en ce sens ressemblerait à la pensée sauvage des cultures dites aujourd’hui pudiquement « naturelles ». C’est un peu retrouver une pensée originelle, celle de nos ancêtres et du tréfonds de nos mémoires et de nos corps, celle qui nous met en contact avec notre monde, notre humanité et notre humanisme.
Car enfin, nous sommes juste -des hommes et des femmes-.
Marie-Line Mouriesse-Boulogne