NON !
« Il est plus grave de ne pas reconnaître une erreur que de l’avoir commise. » Lénine
Rentrant d’une courte semaine de congé dans une collectivité voisine qui a choisi de vivre sous le régime de l’article 74 de la constitution française et ne semble pas s’en féliciter, j’ai pris connaissance avec consternation du communiqué de presse du Bureau Politique du PPM, paru dans le numéro d’Antilla du 25 août, sous la signature de son secrétaire général, Didier Laguerre, à propos de la place du PPM dans un débat mené « dans une certaine presse visiblement partisane … autour d’un article d’Édouard de Lépine qui n’engage que son auteur ».
Je voudrais d’abord dire ceci : tous les textes, sans exception, que j’envoie à la presse sont d’abord adressés au deux principaux dirigeants du PPM, Serge Letchimy et Didier Laguerre, puis aux membres du Comité National et à l’organe central du Parti, le Progressiste. Au lieu de se faire « dans une certaine presse visiblement partisane », le débat aurait pu se développer dans la presse du parti. Il aurait peut-être moins intéressé « la presse partisane ». Il aurait en revanche permis aux militants progressistes de s’exprimer dans leur journal à eux, de dé-lier les langues, bref, de démontrer que notre pratique politique est en accord avec les principes démocratiques dont nous nous inspirons.
J’ajoute que, en peu plus d’une décennie, sous une forme ou sous une autre, j’ai envoyé à nos principaux dirigeants, notamment à notre président, probablement plus d’une centaine de notes, dont moins de la moitié a été rendue publique, sur les sujets les plus divers : sur Césaire et sur notre héritage césairien, sur le fonctionnement du Parti, sur son organisation, sur sa direction, y compris sur notre secrétaire général, sur l’histoire de notre pays (esclavage, luttes ouvrières), sur la formation de nos militants, sur les articles 74 et 73 de la constitution, sur le MAP, sur la 3e voie, sur nos alliances, sur plusieurs aspects de notre politique régionale.
J’ai eu tort de ne pas rendre publiques au moins les observations que je tenais pour essentielles. Cela nous aurait peut-être évité de nous trouver dans la situation ridicule où nous sommes aujourd’hui sur cette affaire, importante certes, du choix de nos candidats pour les sénatoriales, mais qui ne constitue qu’une toute petite partie des défis auxquels nous sommes confrontés. Ces défis nous ne pouvons les relever avec succès qu’à deux conditions : une ligne politique claire, un fonctionnement démocratique transparent.
Un communiqué de presse du BP du PPM inattendu
Le dernier communiqué de presse de notre Bureau Politique ne nous aidera pas à nous en sortir. Un communiqué, curieusement non daté, un tissu d’approximations douteuses et d’affirmations grotesques, où la suffisance et la prétention le disputent à l’ignorance et au mensonge pur et simple.
Je mets notre Secrétaire Général au défi de présenter au BP, l’analyse d’un seul balisier, je dis bien un seul, en dehors de celui du Marin, où « des débats riches et nourris » auraient précédé le choix de nos candidats aux prochaines sénatoriales par notre Comité National, « dans le respect des principes et des procédures qui les accompagnent ».
Je rappelle ces principes et ces procédures : « Les candidats à un mandat électif sont proposés par leur (sic !) balisier. Les candidatures sont examinées par la commission d’investiture, nommée par le Comité National. Le Comité National après avis de ce cette commission est seul habilité à donner les investitures du Parti. » (Brochure PPM – Statuts et Règlement intérieur, p 20.)
Je pourrais en dire autant des débats qui auraient eu lieu au sein du Groupe « Ensemble pour une Martinique Nouvelle ». Si le groupe c’est l’ensemble des élus conseillers régionaux, conseillers généraux, maires, adjoints et conseillers municipaux, il n’y en a eu aucun. Les élus ont été convoqués par le Président pour enregistrer une décision prise en leur nom sans les consulter, par les responsables des 7 organisations de EPUMN, Mais encore que la question de nos alliances soit une question d’ordre stratégique, et par conséquent un sujet important, elle nous intéresse moins ici que la désignation du candidat du PPM aux sénatoriales.
Un entretien décevant avec le Président et le Secrétaire Général du PPM
Au moment où nous avons été reçus, il y a un peu plus d’un mois, Rodolphe Désiré, Louis Crusol, Jean Crusol et moi-même, par le Président du Parti et son Secrétaire Général, j’avais fait un rapide sondage auprès d’une dizaine de présidents de balisiers pour savoir comment les choses s’étaient passées chez eux. Aucun n’avait pu nous assurer que ce débat avait bien eu lieu dans son balisier.
Nous avons fait part au président et au secrétaire général de notre étonnement et de notre réprobation de la précipitation avec laquelle le Comité National avait cru pouvoir procéder à la désignation de notre candidat. Une désignation faite au mépris de nos statuts mais surtout au mépris d’une analyse cohérente des exigences de la période et des besoins du PPM dans le pays en général, au parlement en particulier et tout spécialement au Sénat. C’est-à-dire au cœur de l’assemblée des élus des élus locaux, en charge des intérêts des collectivités locales, où depuis la défection de Claude Lise, nous sommes dramatiquement absents.
La preuve ?
L’élimination de la représentation territoriale, c’est-à-dire du rapport direct, privilégié, entre les élus locaux et leurs électeurs, par la suppression des cantons avec pour conséquence, en premier lieu, l’affaiblissement de nos communes, c’est-à-dire de la démocratie locale dont elles constituent depuis plus d’un siècle le noyau dur.
Pour nous aider à faire face aux difficultés inévitables que devraient connaître les collectivités territoriales (Conseil Général, Conseil Régional, Communes) au cours de la période de transition (2011-2014) entre le régime des deux assemblées et celui de l’assemblée unique, et dans la période de rodage de cette première assemblée unique (2014-2020), nous avons besoin dans la haute assemblée d’un homme de conviction, d’expérience et de fidélité éprouvée à la pensée de Césaire.
Nous avions cru comprendre que le président, beaucoup plus que son secrétaire général, admettait que la désignation de notre candidat ne s’était pas faite selon les règles, que les balisiers n’avaient pas été suffisamment informés du rôle qu’ils pouvaient et qu’ils devaient jouer dans la préparation des prochaines élections sénatoriales, qu’on n’avait pas pu convoquer la commission des investitures prévue dans nos statuts, qu’on n’avait pas suffisamment entendu « les ainés », cette catégorie nouvelle de militants ou d’anciens militants dont la nouvelle direction semble vouloir faire la feuille de vigne chargée de couvrir la nudité de certaines de ses décisions.
Nous nous étions quittés sur l’idée que tout ne s’était sans doute pas passé comme il eut été souhaitable mais que, le vin étant tiré, il fallait le boire, quelque répugnance que nous éprouvions à avaler ce breuvage, mais que nous aurions toutes les précisions que nous souhaitions sur les circonstances de la convocation du CN du 7 juillet, sur le nombre de présents à cette réunion (les chiffres variaient de 10 à 15), sur le nombre de balisiers qui avaient été consultés, sur les contributions reçues, sur les propositions de candidatures enregistrées.
Vingt jours après notre rencontre, et malgré une bonne vingtaine de coups de fil, restés sans réponse, au secrétaire général qui s’était engagé à nous fournir les précisions que nous souhaitions, nous n’avions reçu aucune réponse à nos questions.
Si le communiqué de presse du BP parue dans Antilla est la réponse à nos inquiétudes, elle est encore plus inacceptable que la décision que nous avons contestée. Jamais peut-être la formule de Lénine que nous citons en exergue « il est plus grave de ne pas reconnaître une erreur que de l’avoir commise » ne nous a paru mieux convenir à notre situation.
L’important dans l’erreur n’est pas ce qu’elle révèle mais que ce qu’elle cache
Car, bien entendu, la reconnaissance de l’erreur ne peut pas être la reconnaissance de ce qui saute aux yeux aux yeux de tous et qu’on aura peut-être oublié dans deux mois et sûrement dans deux ans mais qui continuera de nous suivre pendant des années si nous n’arrivons pas à en extirper la racine. Aussi bien l’important dans l’erreur n’est-ce pas ce qu’elle révèle mais ce qu’elle cache : les causes profondes qui l’ont rendue possible.
Ces causes ne peuvent pas disparaître d’elles-mêmes. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, elles nous condamneront non seulement à la répétition des anciennes erreurs mais à l’apparition de fautes nouvelles de plus en plus lourdes. C’est pourquoi la seule manière de combattre l’erreur est d’aller jusqu’à ses origines et, au besoin, de procéder à un changement radical de notre mode de fonctionnement.
Ce que cache l’erreur en la circonstance, c’est, sous des apparences de confiance absolue dans les militants, au moins une certaine défiance et probablement une grande méfiance à l’égard de la base.
Dun côté, on feint d’avoir un tel respect pour son libre arbitre et son autonomie qu’on s’interdit de paraître faire pression sur elle en lui remettant des documents lui permettant de faire son choix, parce que l’on estime ces documents trop favorables à un candidat. Par exemple la lettre du balisier du Marin proposant la candidature de Rodolphe Désiré, à partir d’une analyse écrite de la situation du pays, que ce balisier a été probablement le seul ou l’un des seuls à produire, pour justifier son choix. Il pouvait encore moins, bien entendu, être question de transmettre ma lettre soutenant cette candidature.
De l’autre, on impose à la base, sans débat, ni apparent ni réel, un choix auquel elle n’a eu aucune part. En fait, on tient les militants pour incapables de comprendre par eux-mêmes ce que l’on se fait fort de leur expliquer en quelques mots bien choisis adaptés à leur niveau. On décide pour eux de ce qui leur est communicable. On leur dit ou plutôt on leur commente ce qui, selon la direction, mérite d’être retenu d’un document
Au cours de notre entretien avec le Président a et avec lui, le secrétaire général nous a expliqué, sans rire, froidement, sans être interrompu par le président, qu’il ne pouvait pas transmettre aux balisiers des documents favorables à un candidat, que c’eût été sortir de sa neutralité de secrétaire général. C’est à peine croyable dans un parti qui a 53 ans et qui est le parti d’Àimé Césaire.
Un autre responsable m’a expliqué sensiblement la même chose. J’ai même cru comprendre que mon papier servait au mieux de p q à des camarades qui refusaient de le lire. Je n’avais qu’à voir les commentaires infects parus dans la presse. Des commentaires diffusés – à quel titre ? – aux amis de sa mailing liste, en même temps qu’avec un tact touchant à deux militants du balisier du Marin, par le Directeur de Cabinet du président du Conseil Régional, avec le zèle intempestif d’un petit collégien souceur prévenant les désirs du principal qui ne lui a rien demandé
Bien entendu, en revanche, la direction n’a rien eu à expliquer au CN pour convaincre les quelques présents que le bon candidat c’était Larcher. Un balisier – le secrétaire général ne se rappelait plus lequel – avait proposé la candidature du sénateur sortant. Il l’avait fait avec tant de talent que le CN avait tout compris du premier coup et n’avait même pas eu besoin des lumières du Président, qui n’avait pas voulu user de son autorité « pour faire pression », ni du secrétaire général pour suivre la proposition du balisier de Larcher (lequel au fait ?). Tout comme les présidents de balisiers sans qu’on ait eu besoin de leur expliquer quoi que ce soit, tant cette candidature allait d’elle-même. On ne se fiche pas plus royalement des militants.
Une dérive inquiétante
De ce point de vue, ce qui vient de se passer chez nous pour les sénatoriales est plus qu’inquiétant. Il traduit les progrès d’un nouveau type rapport en train de s’installer entre la direction du Parti et les quelques 2000 militants de la base ou de l’extrême base de ce parti.
Didier Laguerre n’ignore pas qu’il n’a jamais demandé aux balisiers de proposer des candidats aux sénatoriales. C’est lui qui a rédigé la lettre circulaire adressée aux présidents de balisier le 15 juin. Voici ce que dit cette lettre :
« Je souhaite connaître ton analyse de la situation actuelle ainsi (sic) que celle de ton balisier », « Je te demande donc de réunir ton balisier afin de faire remonter cette analyse et ainsi d’éclairer le Comité National dans les choix qu’il pourra être amené à faire .»
Il n’y a eu d’ailleurs aucune réunion avec les présidents des balisiers avant le Comité National du 7 juillet, ni pour les éclairer sur « l’importance qu’il dit fondamentale » des élections sénatoriales du 25 septembre prochain, ni pour leur faire part des propositions que la direction avait enregistrées. Les présidents ont été convoqués après le 7 juillet, non pour connaître les points de vue des militants au nom des quels ils devaient s’exprimer, mais pour valider les décisions prises en leur nom, sans les consulter.
Cela ne peut plus durer. Il paraît que je serais le seul à constater cette dérive et à la dénoncer. Personne ne protesterait. Tout le monde au contraire applaudirait, à part deux ou trois hypocrites et des lâches, qui diraient devant moi le contraire de ce qu’ils pensent et de ce qu’ils disent au BP ou au CN
Le communiqué du BP et l’apparente assurance qui s’en dégage confirme ces propos qui ne m’ont pas été rapportés mais que j’ai entendus de la bouche d’un de nos responsables. C’est ce qui m’a poussé à poursuivre les investigations commencées fin juillet.
Les choses sont encore plus graves que je ne le pensais. J’ai pu joindre 33 des 38 présidents de balisiers que compte le Parti. Sur ces 33, 2 ( ceux de Nelson Mandela et de Jo Vandol) ont admis qu’il y avait eu non pas un débat mais une vague concertation informelle entre quelques camarades sur les sénatoriales, pour faire des propositions de candidatures, ce qui ne leur avait pas été demandé dans la lettre circulaire du secrétaire général du 15 juin.
Convoqués pour approuver non pour débattre
C’est après le 7 juillet que les présidents et leurs balisiers ont été invités à deux réunions l’une à Ducos, pour les balisiers du SUD, le 27 juillet, l’autre à Fort France pour tous les autres balisiers, le 29 juillet. Il ne s’agissait donc plus de prendre leur avis pour éclairer le choix du Comité National mais de leur faire entériner ce choix en acceptant, à la rigueur, quelques critiques, sans conséquence sur la décision déjà prise.
Autant dire qu’ils ont été convoqués non pour être entendus mais pour entendre non pour débattre mais pour approuver. Ils n’avaient aucun besoin pour cela d’un mandat de ceux qu’ils représentaient. Convaincus par les démonstrations des délégués du CN, ils en auraient même rajouté. Au nom de leurs balisiers, ils ont vigoureusement applaudi les candidats désignés sans leur avis.
La direction du Parti joue dangereusement avec la confiance naturelle des militants dans leurs dirigeants. Une confiance émouvante mais déroutante, souvent sincère mais pas toujours désintéressée, rarement sans peur ni sans reproches.
En fait, notre direction instrumentalise c’est-à-dire utilise à ses propres fins les qualités de nos militants, leur sincérité, leur dévouement, leur attachement à leur parti, leur fierté et même leur orgueil d’appartenir au parti prestigieux d’Aimé Césaire.
Rien ne me paraît plus dangereux ni plus contraire à ce que j’ai cru comprendre du césairisme, que les formes dévoyées de cette confiance du militant. Une confiance qui finit par se transformer en soumission aveugle et en démission pure et simple voire en désir sincère que le Parti pense à sa place. Là est probablement l’une des sources de nos plus graves erreurs.
Ne pas accepter l’inacceptable
Il faut rompre résolument avec cette attitude qui n’a rien à voir avec la fidélité à son parti. Il faut prévenir cette dérive qui nous menace et qui finira par nous conduire sans que nous ne l’ayons vu venir, à une caricature de parti césairien, avec « un seul chef, une seule foi, une seule voix ». Le PPM n’a jamais été et ne deviendra jamais le PPU, le Parti de la Pensée Unique.
Les membres du Comité National, en particulier les 21 absents du 7 juillet, convoqués, comme les autres, par téléphone ou par SMS, sous un délai de 48h, pour une réunion sans autre précision que « élections sénatoriales » ne peuvent accepter une décision aussi importante prise au mieux par 15 d’entre eux.
Ils doivent faire en sorte que cette décision soit tenue pour nulle et non avenue, que le CN soit à nouveau convoqué, sous un délai de 3 à 5 jours, avec un rapport introductif sur les élections sénatoriales et sur tous nos candidats.
Les balisiers et leurs présidents doivent se ressaisir. Ils doivent se réunir au plus vite et faire savoir au Secrétaire Général qu’ils n’ont aucune intention de se soumettre à une décision dont ils n’ont jamais débattu et qu’ils souhaitent voir rapportée.
Il y avait 4 candidats PPM aux prochaines élections sénatoriales. Il peut y en avoir un 5e, celle de Larcher puisqu’il était membre du Parti depuis une semaine quand il a été investi par le CN pour porter le 25 septembre prochain, les armes du parti, « cette grande fleur énigmatique du balisier qui est un triple cœur pantelant au bout d’une lance. »
Mais il faut lui faire comprendre que sa candidature est mal venue dans le parti d’Aimé Césaire où l’on n’a pas attendu son adhésion pour avoir un candidat digne de nous représenter honorablement dans la Haute Assemblée et qu’elle est en tout état de cause vouée à l’échec.
La direction du Parti peut et doit se donner les moyens d’organiser sinon une primaire du moins une consultation de ses grands électeurs (conseillers régionaux, conseillers généraux, maires, adjoints et conseillers municipaux progressistes) afin d’éclairer les balisiers, de stimuler la commission d’investiture et d’aider le Comité National, effectivement seul habilité à faire le choix qui nous garantira la présence au Sénat du candidat le plus capable d’y représenter dignement le parti d’Aimé Césaire.
Édouard de Lépine,
Ancien Secrétaire Général adjoint du PPM