Le 9 janvier 2009, "et si Dieu n’aimait pas les noirs ?", le livre de Serge Bilé sort en librairie. Le 18 janvier, l’archevêque de Martinique, Michel Méranville réagit en traitant le journaliste-écrivain de stercoraire, espèce animal ou végétal qui vit sur les excréments et s’en nourrit…
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Eh oui, entre les deux hommes, l’ostie a un goût hostile. Ce jour Serge Bilé répond avec foi :
Je n’ai pas l’habitude d’affirmer les choses à la légère. Et ceux qui ont cru pouvoir me discréditer pour cacher, par exemple, les vérités de mon premier livre, Noirs dans les camps nazis, en ont été pour leurs frais, avec, comme vous le savez, le procès que j’ai gagné.
Je travaille sur ce dossier du Vatican depuis 2005. J’ai accumulé des archives et surtout des témoignages de prêtres, d’évêques, et de religieuses, en poste ou de passage à Rome. J’ai pris soin, pour les uns, d’enregistrer leurs témoignages avec un magnétophone et, pour les autres, de le faire avec une caméra pour les besoins d’un film qui sera présenté, je l’espère, prochainement au public martiniquais.
Tous ont raconté ce qu’ils vivent et ce qu’ils entendent au quotidien. Ce sont ces témoignages qui construisent le livre. Non pas pour affirmer, comme on voudrait me le faire dire, que toute l’Eglise est raciste, mais pour rappeler que, du fait qu’elle est humaine, l’institution catholique reproduit chez certains de ses serviteurs, laïcs ou religieux, les mêmes maux qu’ailleurs.
Ce fut d’ailleurs le cas en Martinique, lorsque Mgr Varin de la Brunelière était évêque. Certains prêtres martiniquais (l’aurait-on déjà oublié ?) s’étaient même plaints d’être maltraités et Aimé Césaire avait eu un accrochage mémorable avec ce prélat au point de déballer tout le mal qu’il pensait de la hiérarchie catholique et de son rôle dans l’esclavage.
Ce fut le cas aussi lorsque Pie XII refusa, à la libération de Rome en 1944, que des soldats noirs, africains, antillais, américains, soient déployés aux portes du Vatican. On trouvera d’ailleurs dans ce livre la reproduction du télégramme, retrouvé récemment à Londres par des historiens, que l’ambassadeur de Grande Bretagne, près le Saint-Siège, sir Francis Godolphin D’Arcy Osborne, avait envoyé au commandement allié, pour relayer l’exigence de ce pape controversé que le Vatican envisage aujourd’hui de canoniser.
Bien sûr, on doit à ce même Pie XII la nomination du Béninois Bernardin Gantin à la tête de l’évêché de Cotonou, faisant de lui le premier Noir à diriger, à 34 ans, un diocèse dans toute l’Afrique de l’Ouest. Mais encore faut-il rappeler dans quelles conditions cette nomination est intervenue. Elle fait suite à la protestation d’un groupe de séminaristes antillais et africains, qui faisaient leurs études à l’époque à Rome. Excédés par le peu de considération que leur témoignait le Vatican, ils publient en 1956 un livre retentissant, « Les prêtres noirs s’interrogent ». Du coup, pour éteindre leur fronde, Pie XII nomme Gantin, qui deviendra, par la suite, par la volonté du pape, Paul VI, le tout premier Noir, à entrer, en 1971, à la curie romaine.
L’ancien secrétaire de Gantin, l’évêque béninois Paul Vieira, m’a donné, à ce sujet, un témoignage instructif : « L’Église est humaine jusqu’à la curie. Gantin était le premier Noir à y entrer. C’était nouveau pour lui et c’était nouveau pour eux aussi. Or, comme vous le savez, tout ce qui est nouveau dérange ceux qui ont peur de l’avenir et de l’inconnu. Leur hostilité ne se manifestait pas en paroles, mais dans leur comportement vis-à-vis de lui. On aurait souhaité qu’il ne fût pas là ».
C’est la même expérience que fait à son tour l’évêque zaïrois Emery Kabongo, lorsque Jean-Paul II fait de lui son secrétaire particulier, le tout premier Noir à ce poste. « Au début, j’ai senti des réticences », m’a-t-il avoué, lui aussi, en se rappelant ses premiers pas à la curie romaine, où il est confronté à « l’hostilité », même si elle n’est pas « visible », d’une partie de ses collègues. « Ce pape exagère sa bonté », osera même l’un d’eux, pour regretter que le pontife polonais ait pris un « valet de chambre noir » à son service.
Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la façon dont l’Eglise a de tout temps perçu les Noirs, qu’elle considérait, jadis, à l’image, non pas de Dieu, mais du diable ! Et, qu’on l’admette ou non, ces préjugés n’ont pas totalement disparu, y compris au Vatican.
Sinon, comment expliquer les discriminations dont sont, par exemple, encore victimes (ce n’est pas moi qui le dis, mais les intéressés eux-mêmes), les prêtres africains qui enseignent à l’université catholique Urbaniana à Rome ? Ils doivent attendre trois fois plus longtemps que leurs confrères européens pour être titularisés.
Comment expliquer également, comme le dénoncent des prêtres africains dans ce livre, que des évêques européens soient aujourd’hui en poste en Afrique, alors que la réciproque n’est pas vraie en Italie ou en France ? Comment expliquer aussi la sous représentation, en général, du continent noir au Vatican : une vingtaine de cardinaux seulement, quand les Italiens, seuls, en ont deux fois plus. En outre, sur près de deux cents cardinaux que compte l’Église, plus de la moitié sont européens.
Une répartition qui ne reflète pas la réalité du catholicisme aujourd’hui, dont les plus gros bastions se trouvent désormais en Afrique, en Asie et en Amérique latine, tandis que l’Europe voit ses troupes rétrécir à vue d’œil. Une répartition discriminatoire dénoncée, également, par le cardinal japonais Stephen Fumio Hamao, en ces termes : « Beaucoup au Vatican considèrent l’Église en Asie et en Afrique comme un bébé, immature en termes de chrétienté. Ils considèrent que seule l’Europe est adulte, peut-être aussi l’Amérique latine. Je pense qu’ils nous perçoivent un peu comme des personnes de deuxième ou troisième classe. »
Ce livre offre à la communauté chrétienne et à l’ensemble de ceux qui s’intéressent aux questions religieuses l’occasion d’instruire, non pas un procès mais un débat, au sein de l’Eglise, sur les questions de société, tels que le racisme et les problèmes de mœurs, découlant d’un vœu, celui de chasteté, qui n’est pas toujours – c’est un euphémisme – respecté.
On peut, à ce sujet, évoquer, le rapport, validé en 2001 par le Vatican, sur les abus sexuels commis par des prêtres sur des religieuses, dans pas moins de… vingt-trois pays répartis sur les cinq continents.
On peut, également, rappeler les affaires de pédophilie qui ont impliqué, notamment aux États-Unis, des centaines de prêtres, parfois couverts par leurs supérieurs, comme par exemple l’archevêque de Boston.
On peut aussi déplorer les cas de prostitution de religieuses africaines, évoquées dans le livre mais aussi dans le film, à travers le témoignage de deux d’entre elles, et la confession d’un père de famille, dont la fille se livrait également à ces pratiques à Rome, comme une cinquantaine d’autres religieuses, selon les statistiques d’un prêtre qui a osé brisé le tabou.
On peut enfin, comme j’en parle dans mon film, souligner les cas, nombreux, d’homosexualité dans les couvents, voire les cas de grossesse et d’avortement de religieuses, y compris ici en Martinique. Ce n’est pas en interdisant la lecture de ce livre qu’on changera la réalité !
Enfin, pour ceux qui visitent régulièrement mon site internet (www.sergebile.com), ils savent le travail que je fais depuis des années à travers mes activités multiformes. Tous les films, que j’ai produits, à grands frais, à ce jour, comme « Noirs dans les camps nazis », « Maurice, le saint noir », ou « Paroles d’esclavage », n’ont bénéficié, eux, d’aucune quête.
Je les ai financés sur mes propres deniers et je les propose, sans rien demander en retour, aux internautes. Ils peuvent, du coup, les visionner en ligne gratuitement. C’est dire si, contrairement à certains qui font carrière, y compris dans l’Eglise, je crois, en ce qui me concerne, moins aux vertus de l’argent qu’à celles de la pédagogie.
Serge Bilé
La vérité en images
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