Le génie d'Hélénon
L'assemblage bidonvillaire, conçu dans l'urgence et aux seules fins pratiques de s'abriter, est inesthétique. S'il est inesthétique, c'est notamment parce qu'il n'est pas peint. Il n'est pas peint parce que le bidonville est un habitat urgent, précaire, incertain. Et en contexte urgent, précaire, incertain, on ne vise que l'immédiateté, l'efficacité, le strict nécessaire. Le souci esthétique ne vient qu'après. Quand le bidonville se revêt de couleurs, se peint, c'est qu'on sort de l'urgence, de la précarité, de l'incertitude, qu'on sort de l'assemblage d'éléments d'origine périphérique, et donc du bidonville.
Le génie d'Hélénon est d'avoir saisi que l'assemblage d'éléments de récupération pouvait faire l'objet d'une interprétation artistique – et donc d'une valorisation esthétique – si l'on ajoutait à l'assemblage, la peinture. Du point de vue de la quête esthétique, la peinture est donc essentielle, déterminante. Elle agit comme révélateur d'un sens caché du sujet, elle fait affleurer un contenu imprévu. C'est sans doute pour cela que l'artiste revendique pour ces productions l'appellation de peintures, de Lieux de peintures.
Le peintre se place donc dans une situation de réinterprétation supplémentaire, en transformant en quelque sorte des modèles déjà transformés, en imposant un nouveau processus de récupération à des référents déjà récupérés. Ce faisant, l'artiste s'inscrit dans la logique de la créolisation, qui impose systématiquement de l'adaptation à de l'adoption.
Le signifiant dans l'insignifiant
La peinture d'Hélénon sublime des objets dérisoires qui (dans le modèle de référence) sont rassemblés et liés par la nécessité. Elle les sort de l'anonymat du vulgaire, de la laideur de la misère, et leur donne une identité nouvelle : celle d'œuvres d'art capables de susciter l'émotion, l'évocation, " l'étrangeté signifiante " (pour reprendre un mot de Jean-Pierre Arsaye).
Cette étrangeté signifiante, cette évocation, sont celles de tous les Tan Wobè et tous les bidonvilles d'ici et d'ailleurs. Et en cela, l'œuvre d'Hélénon est universelle. Elle est universelle parce que bien qu'enracinée dans l'histoire, la culture et les aléas particuliers du pays-Martinique, elle parle aussi des logiques de survie et d'habitat de l'humanité en général.
Enfin, l'œuvre d'Hélénon est universelle parce qu'elle nous apprend à repérer l'intérêt dans le négligeable, le signifiant dans l'insignifiant, l'esthétique dans l'inesthétique, et nous rappelle que les démunis, les dominés, sont aussi des créateurs.
Gerry L' Etang
Hélénon Lieux de peinture, de Dominique Berthet (préface d'Edouard Glissant), HC Editions, Paris, 2006, 192 pages