Les travailleurs, la jeunesse et le peuple tunisiens tout comme les forces progressistes ont raison de l’exiger. Mais la dictature de Ben Ali était aussi un « bon élève » de la mondialisation libérale aux yeux des institutions internationales que sont l’organisation mondiale du commerce (OMC), le fonds monétaire international(FMI) et l’Union européenne(UE) préconisant démantèlement des services publics et privatisations. La Tunisie, qui avait un accord de libre-échange avec l’Europe, avait fondé sa stratégie sur des secteurs employant une main d’œuvre peu qualifiée, à savoir le textile et le vêtement, ou le tourisme. De ce fait elle était un paradis social (bas salaires) et fiscal (défiscalisation sur dix ans et rapatriement gratuit des profits) pour les multinationales étrangères, en particulier françaises.
Les 1350 filiales d’entreprises françaises implantées dans ce pays constituent le deuxième employeur après l’Etat tunisien (110 000 salariés). On retrouve les capitalistes français dans le tourisme (Accor, Club Med, Pierre et Vacances,etc), la grande distribution (Carrefour, Casino), la bancassurance( BNP Paribas, Crédit agricole, Banque populaire/Caisse d’Epargne-BPCE), le BTP( Eiffage, Bouyghes), les télécommunications (Orange), les services (Téléperformance), l’énergie (Alstom, Total), etc Cette politique d’extraversion au détriment d’un développement national orientée vers le tout-exportation et le tout-tourisme a provoqué chômage élevé, explosion du sous-emploi, notamment chez les jeunes diplômés, et paupérisation de masse.
Priorité absolue donnée au tourisme, cela ne rappelle-il pas une grand’messe récente en Martinique avec comme grand prêtre Nicolas Sarkozy et la nouvelle présidente du CMT ? Et l’idée de lancer une campagne sur le thème de « bâtisseurs de paradis » ne renvoie-t-elle pas à la Tunisie qualifiée de « paradis touristique » : Djerba, etc ?
Pourtant, en visite à Carthage en 2008, comme directeur du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Khan qualifiait la Tunisie de « meilleur modèle à suivre ». Il déclarait?: « Je m’attends à une forte croissance en Tunisie cette année. La politique économique adoptée ici est une politique saine et constitue le meilleur modèle à suivre pour de nombreux pays émergents(…) En Tunisie, les choses fonctionnent correctement ». Preuve s’il en était que la social-démocratie a sombré dans le libéralisme.
Après la Tunisie, l’Égypte, le Yémen. Cela sans préjuger de ce qui peut encore se passer en Algérie ou au Maroc, etc, où tout reste en suspens.
En Egypte, la semaine dernière cela a été l’explosion contre 30 ans de dictature et d’état d’urgence d’Hosni Moubarak. Au Caire, à Suez, à Alexandrie, des dizaines de milliers de manifestants ont bravé la police, les tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc.
La révolte populaire s’alimente des mêmes refus qu’en Tunisie : une jeunesse sans avenir ni perspectives, l’exaspération des travailleurs soumis à une politique libérale autoritaire, réprimés dès qu’ils protestent, la colère des Égyptiens en général qui ne supportent plus les restrictions aux libertés et le pillage du pays par la famille du satrape Moubarak imposées depuis trente ans, sous couvert d’état d’exception.
La Tunisie a montré la voie.
Karim Bitar, chercheur associé à l’Institut français des recherches internationales et stratégiques (IFRIS), déclare : « Il y a une frustration politique mais aussi une grande précarité économique et sociale. Paradoxalement, la situation des Tunisiens, qui ont réussi leur révolution, était meilleure. Près de 40 % des Égyptiens vivent avec moins de 2 dollars par jour (ndlr : moins d’1,50 euro). Alors même que le gouvernement égyptien reçoit chaque année des États-Unis, depuis trente ans, entre 2 et 3 milliards de dollars. Il y a donc un problème de frustration sociale, de mauvaise gouvernance économique qui s’ajoute à cet irrésistible besoin de liberté qu’on a vu apparaître notamment sur Internet, sur les réseaux sociaux, qui jouent un rôle très important ».
Alors que la colère montait ces dernières semaines, le gouvernement égyptien, en bon élève aussi de la politique libérale du FMI, coupait ou réduisait les aides financières allouées à certains secteurs, notamment à la santé et l’énergie, ce qui va entraîner des hausses de prix.
Un point commun à ces révoltes : les facteurs déclenchant ont été les répercussions de la crise capitaliste mondiale et la hausse spéculative des prix des produits alimentaires tels que le sucre, l’huile, les céréales, etc. La vie chère.
Comme en Martinique et dans les DOM début 2009.
L’idéologue du libéralisme Friedrich Hayek justifiait les conseils qu’il prodiguait au dictateur chilien Augusto Pinochet par cet aveu?: « Je préfère personnellement une dictature libérale à un gouvernement démocratique dans lequel le libéralisme serait absent ». Les grands prêtres du capitalisme financier d’aujourd’hui ne pensent pas autrement.
Comme quoi capitalisme libéral et dictature font bon ménage.
Jusqu’à ce que les peuples se mettent en marche de manière irrésistible. Les défenseurs des droits de l’homme aux Etats-Unis, en Europe étaient muets. Géopolitique oblige.
Nous devons soutenir les forces progressistes du monde arabe qui rappellent que l’espoir vient de ceux qui luttent pour la liberté et la démocratie sociale.
Michel Branchi
Economiste et rédacteur en chef de Justice
31/01/2011