Donc, soyons clairs, si nous sommes consultés par référendum, c’est surtout pour répondre sur l’étendue des compétences que nous souhaitons avoir dans le cadre de cette évolution institutionnelle qui correspond, on le voit bien, à une nécessité de l’histoire.
Ceux qui choisissent le cadre de l’article 73 pour cette future assemblée unique, avancent un argument qui est le suivant : nous ne voulons pas demander des compétences supplémentaires car cela nous fera perdre nos acquis sociaux, nous ne voulons pas d’une loi spéciale pour défendre nos intérêts propres, nous préférons demander des habilitations temporaires pour faire de l’expérimentation. Il y a d’autres arguments secondaires, mais celui-ci est le principal.
A la vérité, il faut bien dire qu’il n’est pas du tout écrit dans la loi qu’il y aura perte des acquis sociaux, il s’agit d’une crainte qui repose sur l’idée sous jacente qu’en dépit de ce qu’il dit, le gouvernement cherchera à nous piéger pour faire des économies en nous retirant ces acquis.
Ceux qui choisissent le cadre de l’article 74 argumentent dans le sens suivant : nous demandons à exercer les compétences supplémentaires que nous offre le cadre sécurisé de la constitution, car nous en avons besoin pour résoudre plus efficacement les différents problèmes auxquels nous avons à faire face, d’autant plus que nous avons déjà accompli un processus de réflexion approfondie et envisagé des solutions dans le cadre du SMDE et l’Agenda 21 et même, entamé certaines applications.
Maintenant, il est aussi vrai que chacun prend position en fonction de la famille politique dans laquelle il se trouve, en fonction des éléments d’information qu’il a en sa possession, en fonction de ce qu’il pense être le mieux, en fonction des ses amitiés et de ses inimitiés, en fonction de son niveau d’implication dans la chose politique, en fonction des ses ambitions et de ses objectifs stratégiques sur le plan politique …. Enfin, il y a mille raisons parce que nous sommes différents, que nous ne voyons pas les choses de la même façon, que nous n’avons pas les mêmes préoccupations. En bonne démocratie, on s’appuiera sur le résultat du vote pour trancher et appliquer l’une ou l’autre des solutions.
Notre point de vue, c’est le nôtre, et nous aimerions bien qu’il soit compris et partagé par beaucoup d’autres martiniquais, est que, si l’on prend comme référence la demande d’autonomie explicitement formulée dans une motion prise par le Conseil Général en Décembre 1959, on peut se dire que les cinquante ans qui nous ont amené en cette année 2009, nous ont permis d’accomplir une avancée considérable, qui devrait nous permettre de choisir le cadre de l’article 74 pour la mise en place de cette assemblée unique :
En effet, dans cette année 2009, on a vu se produire trois événements considérables :
– Le premier, c’est l’aboutissement du travail du Congrès – le Congrès, rappelons le, est la réunion institutionnelle du Conseil Général et du Conseil Régional – qui a validé, par un vote, le choix de l’assemblée unique, et son mode de fonctionnement, qui a validé la liste des compétences supplémentaires demandées, après un travail approfondi de la commission créée spécialement à cet effet. Ceci ayant été précédé, deux ans auparavant, par le travail de diagnostic, d’analyse et d’élaboration qui a donné le SMDE et l’Agenda 21, suivi de la synthèse des deux. Nous sommes donc bien loin de la simple motion votée dans l’urgence par le Conseil général en 1959.
– Le deuxième, c’est le mouvement social de Février 2009, qui par la quantité de personnes mobilisées, par l’étendue des revendications formulées, touchant à pratiquement tous les domaines de la vie sociale et économique, sans oublier les aspects identitaires et culturels fortement présents, par la durée de la mobilisation, a exprimé de manière visible et évidente une demande forte de changer les choses en profondeur. Les événements de Décembre 59, eux aussi, exprimaient un malaise de fond la société, cependant cela avait pris la forme d’une émeute spontanée. Il faut bien que reconnaître que le niveau d’organisation et de lucidité du mouvement de Février 2009, sur fond de crise, aussi bien dans les territoires d’outre mer que dans le monde, est d’une toute autre ampleur.
– Le troisième, c’est le fait que, tenant compte de ces deux événements, le gouvernement, qui avait pourtant en préparation son propre plan de réforme des collectivités régionales, a jugé utile de mettre en place des Etats généraux de l’Outre-mer, et d’en valider les résultats par un Conseil interministériel chargé de faire des propositions. On peut noter que le gouvernement a fait, dans le cadre de sa fonction, diverses propositions d’un certain intérêt. Mais il est encore plus important de retenir qu’il a indiqué, d’une part qu’il était désormais question de placer les relations de la France et des pays d’Outre mer dans un cadre rénové, et que d’autre part, il donnait toute son importance à la consultation des martiniquais sur le choix qu’ils souhaitaient faire : « une assemblée avec des compétences supplémentaires, garantissant la défense de nos intérêts propres dans le cadre de la République », que nous, nous appellerons le choix de la responsabilité, ou bien une assemblée, fusion administrative du Conseil Général et du Conseil Régional, sans demandes de compétences, mais avec possibilité de demander des adaptations pour expérimentation, que nous, nous appellerons le choix l’incrédulité. Parce que, par manque de confiance dans notre peuple et dans nous même, on ne croit pas que cela soit possible dès maintenant d’assumer cette responsabilité.
Notre conviction, c’est que ce demi siècle qui vient de s’écouler a vu tant de progrès de la conscience, tant d’avancées dans divers domaines, tant d’implication de tous ceux qui, à des titres divers, se sont engagés pour nous faire progresser sur la voie de la responsabilité, que ce serait se placer à contre courant de l’histoire, que de ne pas s’emparer avec détermination des outils que nous offrent le cadre du 74, pour faire de cette assemblée unique le moyen de surmonter les questions que nous avons à résoudre, d’autant qu’en ce 21 ème siècle déjà bien entamé, nous savons maintenant que nous sommes capables de le faire.
Edmond Mondésir