UNE NOUVELLE GOUVERNANCE POUR NOTRE PAYS Dis lanné pou ba peyi’a an sans L’évolution du monde nous impose à nous, Martiniquais, d’agir avec détermination et cohérence. Nous ne pouvons rester étrangers aux choix de société qui régissent notre vie, qui organisent nos émotions. Nous ne pouvons rester sourds aux cris d’une jeunesse qui a soif d’activité et de responsabilité, jeunesse rendue incapable de canaliser positivement l’énergie créatrice de ses 20 ans. Nous ne pouvons nous contenter d’attendre et de laisser à l’autre la plume de l’initiative. « Césaire a laissé un héritage qui ne peut-être la seule propriété du Parti Progressiste Martiniquais » L’effort d’imagination à faire est sans précédent. Il est éthique, moral, et technique. Ethique, car il s’agit de faire l’effort de mettre chaque instant, chaque discours, chaque action en adéquation avec la personnalité martiniquaise. Moral, car il exige de nous d’autres postures politiques. Technique, car nous pouvons difficilement nous dire responsables sans maîtriser la connaissance. Nous pouvons toujours continuer à nous lamenter quand nous évitons tout risque, notamment celui d’assumer directement. Quand l’Etre se dilue au mépris de sa personnalité. Quand nous cultivons la dépendance qui condamne les productions locales. Oui, l’effort d’imagination à faire est d’autant plus important que le retrait progressif d’Aimé Césaire laisse un vide considérable que quiconque ne saura combler. Eveilleur de conscience, Césaire a laissé un héritage qui ne peut-être la seule propriété du Parti Progressiste Martiniquais. Sa pensée est universelle. Sa pensée est aussi le socle fondateur d’une éthique politique locale qui privilégie le Martiniquais, peuple, dans son humanité, dans sa personnalité, et surtout dans sa légitimité à assumer des responsabilités. C’est autour de ces valeurs que je vous invite à un rassemblement, celui de la gauche martiniquaise et des hommes de progrès. Ce rassemblement ne doit être ni une opportunité, ni un calcul en fonction des échéances électorales. Il ne doit surtout pas prendre la tendance d’une négociation sans lendemain, car vide de contenu politique et philosophique. Ce rassemblement doit être motivé par une idée, un projet, une détermination. La Martinique ne peut évoluer sans cet objectif. Notre pays se doit de construire son idéal à partir d’un projet de société, d’un projet politique, d’un programme de développement audacieux, capables de nous permettre de faire reculer le chômage et l’exclusion, ainsi que les affres de la drogue et de la toxicomanie. La Martinique doit pouvoir, de manière durable, être actrice sur la scène du monde, dans une France et une Europe acceptant mieux sa différence comme enrichissement de l’unité républicaine, plutôt que comme handicap soutenu ou assisté avec condescendance. Le martiniquais doit pouvoir, de manière durable, développer son pays en respectant son environnement, son patrimoine, ses valeurs et sa culture. C’est toute la question de la responsabilité face aux choix de développement. Dans son immense majorité, la gauche martiniquaise a choisi une voie, celle de la responsabilité, celle que nous appelons, nous, Autonomie. La gauche et de nombreux démocrates ont relayé en partie ou en totalité cette idée de retenir comme orientations majeures : – La personnalité martiniquaise, fidèle à ses valeurs et à sa culture, – Une société organisée dans le cadre d’une démocratie locale responsable, – un développement qui assume et partage la charge de l’initiative économique. Aujourd’hui on s’essouffle. Des relents de conservatisme réapparaissent. Le confort élitiste nous gagne, nous gangrène. Les divergences nous minent au détriment de la dimension historique du combat politique. « La gauche Martiniquaise, les hommes et les femmes de progrès sont face à leur destin » Nous détenons l’ensemble des pouvoirs de ce pays. Et paradoxalement nous donnons le sentiment d’être en panne d’initiative et en panne d’imaginaire. Situation paradoxale car le troisième millénaire nous impose à la fois un rythme et un appel forcené à l’initiative, au risque d’être totalement dépassés. Comment faire ? D’abord en se rassemblant. Mais un rassemblement autour d’une perspective soumise à la population, discutée avec elle. Un rassemblement dépouillé de tout individualisme et capable de tisser des liens autour de valeurs politiques. La France, confrontée à de grandes difficultés dans le domaine du développement social et de l’intégration de la diversité culturelle, doit faire face à des enjeux de société qui bousculent les ordres établis et qui exigent la construction de nouveaux idéaux. Elle doit mettre en oeuvre de nouvelles organisations pour répondre aux enjeux multiculturels. Dans notre pays, les problèmes ne se posent pas dans les mêmes termes ni sur les mêmes fondements socio-culturels. Cependant, nous devons reconnaître avec humilité que notre société vit un profond malaise, car avec plus de 25% de chômeurs et près de la moitié des jeunes en situation de grave précarité (emploi, drogue, toxicomanie) les perspectives d’épanouissement se réduisent à des exutoires de renoncements et de défis morbides. Cela exige un projet de société qui doit être le plus largement partagé : alternative possible à ce monde dans lequel nous vivons, où le marché impose sa politique aux hommes. Ici, dans ce pays, nous n’avons plus de passion collective, et nous sommes à la merci de la pire des dépendances, la dépendance morale, celle qui assujettit la pensée, celle qui indétermine la lutte pour l’émancipation. Elle est moite cette matinale d’espérance. Quelles sont les perspectives, où est ce petit matin d’espérance ? Sonne-t-elle la fin des identités émotionnelles d’un pays, celles qui sont nées du terroir de la diversité, et de l’arrachement d’âmes tremblantes ? Sommes-nous capables de nouveaux imaginaires fondés sur la conquête de soi, partenaires d’une France plus ouverte aux libertés locales, d’une Europe d’initiative régionale, d’une société moins divisée. Sommes nous capables de pensées anticipatrices positives, inspirées par la cohésion et une culture de l’intérêt général ? Sommes-nous capables de construire de nouveaux liens sociaux de nature à nous sortir du « néolithisme » politique, pour venir au secours des futurs possibles, ceux capables de construire des alternatives de créativité de l’esprit? Cette matinale d’espérance, sera-t-elle celle qui nous permettra de dire que notre intelligence collective est capable de porter une démocratie basée sur une citoyenneté locale concrète. « Je réalise qu’il s’agit d’un mouvement qui ne pourra être que collectif » Serons-nous capables de faire face aux nouvelles demandes sociales, culturelles, d’oeuvrer ensemble, ou tout au moins d’apprendre à résister, à affronter, à entreprendre, pour éviter la standardisation des comportements récupérables par des tendances populistes. Plus concrètement encore, j’évoque depuis quelques mois un plan « Marshall » pour notre jeunesse, pour l’emploi. Je réalise qu’il s’agit d’un mouvement qui ne pourra être que collectif. C’est aussi ce plan que je vous propose de mettre en ?uvre. C’est ce plan qui constituera l’aube de notre action commune au profit de notre peuple. Notre situation économique et sociale nous impose aujourd’hui une autre vision de l’idéal économique, et une autre manière de concevoir le socialisme. Quelques exemples : – Au travers des marchés publics, dont nous rédigeons déjà les cahiers des charges, et pour lesquels nous devons pouvoir aussi maîtriser la codification, nous pouvons atténuer la mécanisation et l’automatisation, et mettre au travail des centaines de jeunes. – La relance de la production agricole locale impose certes la diversification, tout en soutenant nos grandes productions. Mais pour atteindre ce but, il faut ouvrir des marchés aux petits producteurs et éleveurs. L’obligation des quotas de consommation de produits locaux dans nos cantines scolaires est une étape dans la relance de la création d’activités dans le milieu agricole (24 000 repas/jour sur le territoire CACEM). – Le partage du temps de travail : pour préparer les jeunes à occuper les milliers de postes qui vont se libérer dans les prochaines années grâce aux départs à la retraite, c’est une manière d’éviter l’exclusion et le chômage de centaines de jeunes diplômés (infirmiers, enseignants, cadres?). – La multiplication de pépinières d’entreprises, dans des domaines classiques, les nouvelles technologies, mais aussi dans des domaines culturels, sportifs et civiques est un moyen d’éviter que les grandes idées portées par des personnes démunies ne soient irréalisables. Leur donner accès à un immobilier d’entreprise à la portée de leurs moyens est un défi qu’il faut relever. – La coopération intelligente avec la Caraïbe, avec l’Amérique du sud, peut ouvrir aux initiatives privées un marché considérable en termes d’échanges, et notamment pour la transformation sur place de produits bruts importés : plantes médicinales, bois, aluminium? – La Martinique a des charges européennes dans un environnement caribéen, ce qui grève considérablement sa compétitivité, et conduit à des inégalités sur les marchés mondiaux. Seul un portage fiscal d’Etat peut libérer les initiatives de développement, mais sous gouvernance locale. Je suis favorable à une zone franche sur l’ensemble de la Martinique, pour relancer l’économie, notamment dans le domaine des services, du tourisme, de l’agro-alimentaire, du patrimoine? – L’engagement conjoint des collectivités et des privés en faveur d’une politique énergétique de production d’électricité, de renforcement des énergies renouvelables, sur des sites répartis de manière équilibrée sur l’ensemble du territoire martiniquais. – Enfin, autre exemple, il nous faut donner un sens à la notion d’attractivité, socle du développement touristique. Attractivité, c’est attirer, mais attirer vers quoi ? la nature veut que nous ne soyons pas seuls détenteurs de plages ensoleillées et de cocotiers. Une action d’envergure de construction de produits touristiques est fondamentale. En premier lieu Saint-Pierre, patrimoine de l’humanité, abandonné aux faibles ressources d’une mairie, et qui devrait être réaménagé, modernisé à la hauteur de nos ambitions touristiques, et livré à des milliers de touristes, comme projet d’intérêt local et national. « Pas un appel au leadership politique » Cet appel au dépassement collectif n’est pas une invitation au leadership politique. J’ai démontré mon désintéressement pour le pouvoir personnel, mon refus de verser dans le culte de la personnalité. Ce qui m’intéresse, ce que je souhaite, c’est contribuer tout le temps que les martiniquais m’accorderont leur confiance, à l’édification d’un pays meilleur, plus digne, plus responsable, mieux développé. J’appelle tous les démocrates et tous les hommes de gauche, toutes celles et tous ceux qui sont épris de valeurs humaines et partagent notre ambition à ce dépassement collectif à un rassemblement sans précédent, au sein d’une structure de coordination, mais surtout avec un cap clair : consacrer les dix années qui viennent à remettre notre pays sur les rails verticaux de l’effort, de la responsabilité, et de l’épanouissement. Dis lanné pou ba peyi’a an sans !
Serge LETCHIMY Président du PPM 23 février 2006