Par Hélène Ferrarini journaliste et enseignante en #Guyane.
A l’heure où la fusion est à la mode, c’est bien à la scission de l’université Antilles-Guyane que l’on assiste. Mais dans le contexte des DOM, cette décision a tout son sens.
Ce n’est pas tous les jours que la France enterre un de ses vieux restes de colonisateur. Et ce n’est pas tous les jours non plus qu’on crée une nouvelle université. La scission de l’université #Antilles-Guyane –aujourd’hui, elle réunit les pôles martiniquais, guadeloupéen et guyanais– et l’ouverture prévue en 2016 au plus tard de l’université de Guyane peut d’ailleurs surprendre.
Résultat au-delà des espérances des grévistes étudiants, professeurs et lycéens qui dénonçaient[1] le manque de maîtrise du pôle guyanais sur son propre fonctionnement et développement, l’accord signé le 11 novembre va contre la tendance générale, qui est plutôt à la fusion des universités. Mais dans le contexte des DOM, il prend tout son sens. L’histoire de l’enseignement dans ces régions est celle d’une marche progressive vers l’autonomie et la création de cette université de la Guyane s’inscrit dans ce processus de prise en main locale des instances de savoirs.
Jusqu’en 1946, ces zones sont sous le contrôle du ministère des Colonies, qui y gère aussi l’instruction publique. En Guyane, «les premières écoles publiques ne sont pas des écoles communales. Elles sont créées et entretenues par l’administration coloniale qui fournit une partie du matériel nécessaire», explique Yvette Farraudière dans son ouvrage Ecole et société en Guyane française.
Quand ces colonies accèdent au statut de département en 1946, l’égalité avec la métropole est de mise. Mais dans les faits, l’enseignement ne s’y affranchit que progressivement de la tutelle hexagonale.
En 1947, le soin de l’instruction publique dans ces quatre départements d’outre-mer est confié à des vices-recteurs. Ces inspecteurs d’académie sont sous l’autorité d’un recteur d’académie se trouvant en métropole. L’académie de Bordeaux a ainsi en charge les Antilles et la Guyane; la Réunion est placée, elle, sous le contrôle de l’académie d’Aix-Marseille.
Sous la tutelle de la Métropole
Il faut attendre 1973 pour que se crée l’académie Antilles-Guyane, 1984 pour celle de la Réunion. Des recteurs prennent alors leurs postes dans les nouveaux rectorats de Fort-de-France, puis de Saint-Denis.
Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, les Centres d’enseignement supérieur scientifique de la Martinique et littéraire de la Guadeloupe, créés dans les années 1960, sont respectivement placés sous le contrôle des facultés des Sciences et des Lettres de Bordeaux. Ces centres sont transformés en Unités d’enseignement et de recherche, puis réunis en Centre universitaire des Antilles et de la Guyane en 1970: l’enseignement supérieur de ces DOM accède à une autonomie financière et administrative. Mais il dépend toujours de la métropole: n’étant pas majeur pédagogiquement, ce centre universitaire doit signer des conventions avec des universités métropolitaines.
En 1982, un décret fonde finalement l’université Antilles-Guyane, une université de plein exercice, autonome administrativement et pédagogiquement. «La création de l’université des Antilles et de la Guyane (UAG) au début des années 80 s’inscrit dans une logique de démocratisation et d’une profonde transformation des missions et des modes opératoires de l’enseignement supérieur français. C’est dans un contexte particulier pour les DOM, après la départementalisation et lors de la décentralisation que naît l’UAG», lit-on dans L’enseignement supérieur dans les régions ultrapériphériques (RUP) (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Réunion).
Au sein de l’université Antilles-Guyane, la Guyane est à égalité avec la Guadeloupe et la Martinique. Mais dans les faits, elle reste la dernière roue du carrosse, confinée sous tutelle antillaise. «Nous sommes les parents pauvres de l’université Antilles-Guyane, déplore Laurent Linguet, maître de conférences et porte-parole de l’intersyndicale. Depuis trente ans et la création de l’UAG, l’Etat accorde des moyens, mais ils sont captés par la Martinique et la Guadeloupe où se trouve la direction générale, à tel point que le taux d’encadrement des étudiants est deux fois plus faible en Guyane qu’aux Antilles», expliquait-il au Monde.
Les diplômes «à trous»
Le déséquilibre entre les pôles entache la qualité des diplômes décernés en Guyane. «Les étudiants ont encore des diplômes à trous, c’est-à-dire des diplômes qui reçoivent des dispenses parce que des enseignements n’ont pas pu être effectués par manque d’enseignant», témoignait Laurent Linguet sur Guyane 1re. Ces «diplômes à trous», également surnommés «diplômes cocotiers», ne correspondent pas aux exigences ministérielles, ce qui remet en question leur validité.
Ces lacunes poussent les bacheliers guyanais qui en ont les moyens vers la métropole. Beaucoup d’entre eux ne reviennent pas en Guyane. L’enquête «Migrations, Famille et Vieillissement de l’Ined-Insee 2009-2010», remarque le site d’information guyanais Guyaweb détaille que «72% des Guyanais qui émigrent durablement sont âgés entre 18 à 24 ans. Sur ceux là, 37% de femmes et 28% d’hommes justifient leur émigration par « la poursuite des études ». Ceux partis pour “études” sont évidement les mieux lotis: les deux tiers (65,4%) sont diplômés du supérieur, contre (…) seulement 16% en moyenne départementale».
De plus, si vu de la métropole qui se trouve à plus de 8.000 kilomètres, un ensemble antillo-guyanais peut sembler cohérent, il est en réalité, de par leur histoire, leur économie, leur géographie ou encore leur démographie, les îles antillaises et la Guyane d’Amérique latine diffèrent.
«Le contexte géographique et environnemental de la Guyane milite en faveur d’une vraie reconnaissance du fait universitaire dans notre département/région, plaidait le conseil général de Guyane dans une motion du 18 octobre, tant en termes de développement de filières, adaptées, à nos problématiques de développement, qu’en ce qui concerne le rayonnement de l’université sur les pays voisins du territoire sud-américain.»
De plus, «la question démographique [d]oit essentiellement être prise en compte dans ces perspectives, car la pyramide des âges montre bien l’importance de l’évolution de la population des jeunes en Guyane, au contraire de la régression constatée aux Antilles».
Effectivement, avec 3,4 enfants par femme en 2012, la Guyane n’a pas achevé sa transition démographique. Sa population devrait doubler d’ici 2030, laissant présager l’enjeu que constitue le développement de l’enseignement supérieur en Guyane dans les années à venir. «L’université des Antilles a besoin de la Guyane. Mais la Guyane n’a plus besoin de l’université des Antilles: nous avons marronné», proclamait l’intersyndicale à l’intention de la présidente de l’UAG le 28 octobre.
La décision inquiète les Antilles
Les Guyanais n’en sont pas à leur premier «marronnage». Il y a quinze ans, le rectorat Antilles-Guyane, basé en Martinique, connaissait le même sort que l’université. Une intense mobilisation lycéenne avait eu raison de l’académie Antilles-Guyane. Trois rectorats indépendants étaient alors créés: un en Martinique, un en Guadeloupe et un en Guyane. Aujourd’hui, c’est au tour de la grande sœur universitaire de s’émanciper, confirmant la faiblesse de ces structures antillo-guyanaises.
Aux Antilles, la décision inquiète, puisqu’elle signifie la mort programmée de l’université Antilles-Guyane. La directrice de cette dernière, Corinne Mencé-Caster ne manque pas d’avertir les Guyanais: ne comptant aujourd’hui que 2.500 étudiants, le pôle guyanais serait bien trop petit pour voler de ses propres ailes dans la cour des universités.
Mettre en place une université de Guyane d’ici 2015 ou 2016 ne sera pas une mince affaire. Il faudra que suffisamment d’étudiants rejoignent les bancs de l’université guyanaise pour ouvrir des filières. Pour cela, il faut compter sur le choix de certains bacheliers de rester étudier au pays, plutôt que de partir pour la métropole une fois le bac en poche. Le nombre d’étudiants pourra également augmenter avec la croissance démographique, d’une part, et avec un meilleur acces au baccalauréat, d’autre part. D’après l’Insee, en 2007, 46% des jeunes guyanais âgés de 20 et 24 ans avaient quitté l’école sans aucun diplôme d’enseignement secondaire de second cycle (CAP, BEP, Bac technologique ou bac général).
De plus, le DOM souffre d’une déscolarisation inquiétante: 5,4% des 12-16 ans n’étaient pas scolarisés en Guyane en 2009. C’est donc d’une amélioration globale de son systeme éducatif dont a aujourd’hui besoin la Guyane.
Enfin, les questions budgétaires sont également à anticiper. Des fonds spéciaux sont prevus par le ministère de l’Enseignement supérieur; mais la nouvelle collectivité unique qui verra le jour en 2015 en Guyane, avec la fusion du département et de la région, devra également mettre la main à la poche. L’administratrice provisoire du pôle universitaire guyanais, Anne Corval, qui a été nommée pour assurer la transition vers une universite indépendante, devra se pencher sur ces questions.
Les Guyanais ont préféré opter pour une petite université de la Guyane, avec les difficultés que cela comportera, plutôt que de rester la portion congrue d’une entité plus conséquente, mais sous contrôle antillais. Ils ont ainsi posé un nouveau jalon dans l’autonomisation de l’enseignement dans ces régions d’outre-mer.
Hélène Ferrarini
[1] Au départ, un grand imbroglio de par la variété de ses revendications (restauration et logements universitaires, postes de professeurs supplémentaires, transports adaptés, démission de l’équipe dirigeante du pôle guyanais, ouverture d’une licence professionnelle de protection de l’environnement). Retourner à l’article
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